Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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Dans la cour


France / 2014

23.04.2014
 



FISSURES APPARENTES





«- Mais il ment mal !
- C’est plutôt rassurant, c’est qu’il n’est pas habitué.
»

Pierre Salvadori aime les personnages au bord des précipices. En revenant à une histoire plus porche du réel que du glamour (Hors de prix, De vrais mensonges), il retrouve l’inspiration qui charmait dans ses premiers films (Cible émouvante, Les apprentis). Des êtes plus ordinaires, cette fameuse classe moyenne, des humbles aux bourgeois, avec leurs égoïsmes et leurs obsessions. Cependant, ce qu’il manquait souvent au réalisateur, c’était bien la parfaite alchimie entre un humour très précis, souvent subtil, et ce tableau plutôt gris foncé de la société. Déjà dans Après vous, Salvadori avait tenté l’alliance de la carpe et du lapin, avec un homme dépassé par sa vie qui tente de sauver un homme qui n’en peut plus de la vie. Avec un propos assez similaire, Dans la cour échappe à toute lourdeur et ne s’embarrasse pas d’un quelconque happy end. Le ciel gris clair se teintera doucement en gris foncé, au fil de l’histoire.

Le film n’est ni romantique, ni dramatique. Il s’agit d’une comédie mélancolique. Une vraie comédie, où les rires peuvent fuser, où le rythme rappelle les bons films de Rappeneau. Pas étonnant qu’il ait été cherché la seule comédienne capable de jouer ce tempo (verbal), Catherine Deneuve (qui d’ailleurs retrouve dans ce film ses airs de jeune emmerdeuse prise en flag’ dans Le sauvage). Lui opposer un acteur/auteur comme Gustave Kerven est aussi la brillante idée de départ. Ce duo est un couple de cinéma américain, façon Meryl Streep/Zach Galifianakis. L’icône et l’anar : deux mondes a priori opposés et pourtant leur alchimie amicale fonctionne de bout en bout. Par delà, les différences, c’est bien leur « folie » qui les unit. Comme si leur rejet de la réalité et du monde qui les entoure ou même de leur passé était plus forts que le fossé qui les sépare. Il y a de l’amour, mais au sens fraternel du terme, comme si l’entraide suffisait à légitimer un repli sur soi en croyant aller vers l’autre. On peut les voir au premier degré, complètement frappés, ou au contraire, plus lucides que les autres.
Car tout est toujours dans les détails chez Salvadori. Chaque millième compte dans une propriété. Et le film est une addition de lots dont chacun revendique sa part.

Les plombs ont sauté

La société est au bord de la rupture. Les idéalistes préfèrent quitter la scène, las de crier leur rage. Quitte à ne plus réfléchir : « Nettoyer, dormir et ne plus penser, je pourrais tuer pour ça ! ». Les conformistes craignent que tout s’écroule et refusent la fatalité. La métaphore est fissures dans le mur de l’appartement de Deneuve est lisible. Ici, pourtant, tout le monde pète les plombs, même quand tout n’est pas si grave. Tous sont sous médocs, alcools, drogues. Des placebos pour survivre. La folie douce s’installe dans ce faux huis-clos (à ciel ouvert). Deneuve, qui n’est jamais aussi bonne que dans ces rôles de femmes fêlées (Sagan la définissait comme la « fêlure blonde »), glisse à la perfection dans cette faille psychologique béante qui s’ouvre à elle, jusqu’à la catharsis nécessaire pour qu’elle se réveille. Kervern en animal domestique aussi docile que généreux s’accroche, en tenant de concilier toutes les aspirations des uns et refusant de dire non aux autres, quitte à s’oublier, pour ne pas tomber dans cette crevasse qui le mènerait directement aux enfers.

Ce couple improbable et solidaire, porté par une utopie plus forte que la lutte des classes, profite de situations cocasses, de dialogues cousus comme de la dentelle, de la dérision ambiante. Soliloquer n’est pas une tare : ça permet de ne pas s’ennuyer ni de souffrir de sa solitude. Il y a toujours une manière « positive » de voir les choses. On peut rire franchement : et les seconds-rôles n’y sont pas étrangers, avec leurs manies et leurs excentrismes. Le cinéaste fournit ainsi une série de gags, et parfois de « running gags », à partir de rien. Une simplicité apparente qui naît d’une précision d’écriture assez rare dans la comédie française. Salvadori n’a jamais été aussi inspiré. Du gardien qui vole les fleurs dans les parcs municipaux à l’immigré balkan adepte d’une secte évangéliste, de la libraire ésotérique au plat d’endive immangeable, en passant par les effets étranges de la dope (séquence « Godzilla » étonnante), tout s’enchaîne, se mélange dans un grand tourbillon de vie qui pourrait nous faire croire que nous sommes dans un asile de fous.
Avec Deneuve en drôle (de) chef de bande. Mais c’est bien la société qui est folle. Les rares esprits cartésiens sont, certes, dépassés par les événements, mais ils sont surtout incapables (impuissants) à ramener ces aliénés à la raison. Tous sont responsables de ces dérèglements. Plus personne ne sait aimer la vie ou cohabiter sereinement avec les autres. On peut toujours imaginer en maquette un cadre urbain idéal, avec des personnages souriants et des bâtiments « design », le réel montre exactement que l’inverse. On peut regretter qu’il n’ s’agisse que d’une chronique, un objet d’étude comportementale. L’histoire est sûrement trop simple, l’enjeu assez diffus, et le délire sûrement trop retenu.

Dans quel étage j'erre?

Mais le spectateur se laisse embarquer, affrontant des flots tumultueux, des vagues à l’âme, des lames de fonds, avant de toucher le fond, ces abysses froides et « euthanasiantes ». La finesse psychologique de cette odyssée du pire tend le film vers son meilleur. L’un des personnages se dissout dans une plongée en apnée tandis que l’autre se laissera couler, s’abandonnant à son destin. L’un sera sauvé, l’autre pas. La fin, ne réparera rien. La société continuera de se fracturer, comme l’immeuble : les experts ont beau dire que les fondations sont solides (« tout va bien, madame la propriétaire »), les craquelures continueront de conquérir les murs.

Il n’y a aucune nostalgie chez Salvadori : l’arbre planté au milieu du jardin de la maison d’enfance ne repoussera pas (ce qui est désespérant), la griserie du rock et les cris des fans ne reviendront pas… Mais dans la cour, il y a des fleurs, héritage de la trace fugace que laisse l’amitié entre deux paumés, vrai duo de cinéma plein de sincérité, qui nous auront fait rire et pleurer. C’est de loin son film le plus abouti. Avec cette hypersensibilité palpable, le réalisateur touche enfin juste : droit au cœur. Pile au centre de sa cible émouvante.
 
vincy

 
 
 
 

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