Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



Ailleurs
Calamity, une enfance de Martha Jane Cannary
Effacer l'historique
Ema
Enorme
La daronne
Lux Æterna
Peninsula
Petit pays
Rocks
Tenet
Un pays qui se tient sage



J'ai perdu mon corps
Les misérables
The Irishman
Marriage Story
Les filles du Docteur March
L'extraordinaire voyage de Marona
1917
Jojo Rabbit
L'odyssée de Choum
La dernière vie de Simon
Notre-Dame du Nil
Uncut Gems
Un divan à Tunis
Le cas Richard Jewell
Dark Waters
La communion



Les deux papes
Les siffleurs
Les enfants du temps
Je ne rêve que de vous
La Llorana
Scandale
Bad Boys For Life
Cuban Network
La Voie de la justice
Les traducteurs
Revenir
Un jour si blanc
Birds of Prey et la fantabuleuse histoire de Harley Quinn
La fille au bracelet
Jinpa, un conte tibétain
L'appel de la forêt
Lettre à Franco
Wet Season
Judy
Lara Jenkins
En avant
De Gaulle






 (c) Ecran Noir 96 - 24


  



Donnez votre avis...


Nombre de votes : 29

 
Insomnia


USA / 2002

06.11.02
 



LE PACTE DES (VIEUX) LOUPS





"- Pourquoi la vie est si fragile que ça, putain ?"

Même si le voyage ne nous emmène pas aussi loin qu’espéré, cette expédition sur les bords du Styx nous laisse un peu chaos. Christopher Nolan semble aimer se promener dans le cerveau d’individus flous. Ici, le subconscient a un décor d’Alaska, par soleil de minuit : il ne dort jamais, ne rêve que par hallucinations, se complait dans une ébullition pathologique. La mécanique neurotique ne se repose pas. Le protagoniste principal – Pacino, de bout en bout du film – est harcelé par sa conscience et son subconscient se désagrège dans cette humidité qui fait suinter la pellicule.
Car Insomnia est une œuvre, à premier abord peu séduisante, sur le doute, la culpabilité et les zones grises de ce qui est bien et mal. Même la nuit trompe l’ennemi en étant jour. Nous sommes au bout du monde, dans la Mecque du Flétan, avec un gros poisson, un flic vedette de Los Angeles ; mais aussi dans des eaux peu claires où la corruption, la tricherie, le mensonge permet d’obtenir la vérité. L’humain confronté à ses lois.
Il est étonnant que Penn (The Pledge), Eastwood (Bloodwork) ou ici Nolan se penchent à leur manière, dans des polars sombres et tourmentés sur la cohabitation du bien et du mal, la folie de ceux qui se perdent dans ce No man’s land mental. Même si la fin justifie en effet les moyens, ils laissent des plumes et se retrouvent en face d’une vérité peu agréable : leur métier coule dans leurs veines, quitte à déconner avec le système.
Car non content de faire de son flic un ripoux, un tueur et un manipulateur (donc forcément un héros peu glorieux), Nolan le fait pactiser avec le méchant. Un pacte avec le Diable, terriblement faustien, et finalement fatal.
Nolan nous perd dans un labyrinthe de souterrains, de ruelles, de coins paumés dans le brouillard. Tout paraît irréel, comme un tribunal à ciel ouvert où l’examen de conscience se fait à travers l’anti-thèse du personnage de Pacino. Comme si ce dernier avait besoin du noir pour se découvrir blanc, ayant vécu dans toutes les nuances de gris. Mais le discours est subtil : car le « méchant » justifie ses actes en les travestissant avec quelques oripeaux sémantiques et un contexte qui l’excuse. En modifiant l’angle, le geste criminel s’estompe ou s’accentue. Et pas forcément en faveur du justicier. Le tueur devient un honnête citoyen qui a franchit une limite, transgresser un ultime tabou (tuer, « et c’est facile »), mais fait porter la responsabilité sur la victime. La force du film est de l’innocenter avec le crime d’un flic. Un mensonge contre un mensonge, et la vérité factice reste intacte et sauve tout le monde. Excepté que cela signifierait la fin d’un système, d’une justice, et donc la porte ouverte à la légitimation du meurtre.
Artistiquement, le film est réussi ; scénaristiquement, il est évidemment brillant. On peut regretter une mise en scène tantôt peu inspirée tantôt trop calculée. Parfois Nolan nous bluffe. Il réussit parfaitement son coup avec la rencontre tardive et attisée entre Pacino (évidemment remarquable) et Williams (incroyablement juste). Cela débute par une poursuite dans un brouillard, puis une autre poursuite avec une séquence effrayante sur des troncs d’arbres flottant. On se croirait dans Heat, quand Pacino cherche à rencontrer De Niro.
Le mal nourrit le bien et inversement. Les frontières sont inexistantes, invisibles, juste dans nos têtes.
Il ne se penche pas sur la mémoire mais sur le doute. Reste qu’Insomnia a des allures de polars d’auteur qui nous empêchent d’être transportés dans un trip hallucinogène où nos cauchemars font croire à la réalité. Trop esthétique, trop soigné, pas assez rude, la réalisation reste distante et observatrice, clinique même. Peut être le manque d’innovation dans le traitement des scènes conduit-il le spectateur à une impression de déjà vu et l’empêche d’ouvrir les yeux sur cette réflexion intelligente sur la responsabilité.
Avec un final qui nous fait penser aux films de Peckinpah, Nolan solde les comptes et n’épargne que la personne qui croit encore à sa mission. Dans cette quête d’absolution, de pardon, Insomnia finit comme il le devait : dans un Grand Sommeil, mérité, atemporel. Il fallait garder les yeux grand ouvert pour enfin connaître la vérité sur soi et partir en paix. Une note discordante, et donc salutaire, parmi les productions américaines habituelles. Nolan confirme tout l’intérêt de son cinéma.
 
vincy

 
 
 
 

haut