Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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Les femmes de Višegrad (For Those Who Can Tell No Tales)


Bosnie/Australie / 2013

30.04.2014
 



COMBLER LES VIDES DE L'HISTOIRE





 « Voir Višegrad à travers un objectif la rend plus acceptable »

« Pourquoi tu fais tout, toute seule ? » demande la mère de Kym à celle-ci avant son départ pour la Bosnie. Pétillante et pleine de vie, la jeune Australienne est avide d'aventures, de rencontres, d'expériences avec un grand E. Elle visite Sarajevo avec l'insouciance d'une touriste. C'est en dormant à l'hôtel Vilina Vlas de Višegrad, dont le guide touristique vante le « cadre romantique », que son petit monde bascule. En 1992, pendant la guerre de Bosnie, 200 femmes y ont été violées et tuées. Et à Višegrad, près de 2000 personnes ont été assassinées. Un détail qui ne figure pas dans le guide touristique... C'est donc toute seule que Kym se révolte. De retour à Sydney, la jeune femme se sent impuissante et incomprise. Cette nuit à l'hôtel Vilina Vlas la hante.

La réalisatrice bosnienne Jasmila Zbanic filme les silences et les non-dits, non seulement à Višegrad, lieu du massacre, mais aussi à Sydney, ville où Kym est née, et où elle est censée se sentir chez elle. Depuis cette expérience traumatisante, Kym n'a plus de repères. Dès lors, le récit devient encore plus introspectif. Il l'était déjà avant que Kym ne parte à Sarajevo, quand celle-ci se servait de sa propre caméra comme journal intime. Mais si dans un premier temps Kym souhaitait filmer la vie en mouvement (Sarajevo et ses artistes de rue, Višegrad et ses concerts de métal), elle choisit, dans un second temps, de photographier, de capter l'instantanéité de cette ville fantôme qu'est Višegrad et ses habitants. La plupart d'entre eux ont mené la guerre, mais, comme l'explique la réalisatrice, font toujours partie de la police, de la justice, des institutions éducatives et politiques. « Le directeur de l'hôtel n'a jamais été inculpé » s'indigne par ailleurs Kym.

De fait, Les femmes de Višegrad ne porte pas sur la guerre elle-même, mais sur le parcours personnel de Kym Vercoe, à la fois interprète et personnage central de l'intrigue. Le film est en effet une réécriture de la pièce de théâtre écrite par la jeune femme, Sept kilomètres nord-est). Il s'inspire également du livre Le Pont sur la Drina d'Ivo Andric qui retrace quatre siècles d'histoire autour de Višegrad. Jasmila Zbanic a su conserver l'intimité de la pièce de théâtre et la puissance des mots de d'Ivo Andric (Le titre international du film For those who can tell no tales est une citation du roman). Kym Vercoe a ainsi l'occasion de revivre cette expérience, en tant que comédienne cette fois, et de montrer au spectateur ce qu'elle a vu et ressenti.

« L'ignorance rend heureux »

C'est avec une toute autre motivation que Kym revient à Višegrad. On est en hiver, les rues sont vides, la paranoïa constante. A sa façon, la jeune femme fait la guerre. En posant les questions qui fâchent. En s'imposant. Très vite, les habitants portent plainte contre elle. « Australienne seule ? Gros problème ». Le chauffeur de taxi à Sarajevo l'aura prévenue.
Il y a en effet quelque chose de dérangeant à voir cette étrangère s'improviser juge des événements tragiques qui se sont déroulés dans une ville qu'elle connaît à peine. Sans parler d'attitude colonialiste – une problématique dont les Australiens sont pourtant familiers – , Kym croit détenir une connaissance supérieure (glanée ici et là sur Wikipédia) de la guerre comme de l'après-guerre, qui rend ses actions ou propos parfois maladroits ou agaçants.

Mais il s'agit avant tout du regard d'une femme. Une femme qui parle au nom des femmes violées et torturées, pour qui aucun mémorial n'a été dressé. Les femmes de Višegrad ? Le film aurait très bien pu s'appeler Les hommes de Višegrad. Tous les hommes que Kym rencontrent détiennent un pouvoir : les clés de l'hôtel, l'ordre (les policiers) et même l'Histoire (le guide du musée). Kym devient alors cette femme qui essaie de combler les vides laissés par l'Histoire et les hommes, par le biais de l'art (la photographie, la pièce de théâtre). Une démarche à la fois cathartique et universelle.
 
Emeline

 
 
 
 

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