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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Black coal (Bai Ri Yan Huo)
/ 2013
11.06.2014
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LE FEU SOUS LA GLACE
"Je suis la compagne d’un mort vivant."
Un film de genre qui remporte la plus prestigieuse récompense d’un festival international de premier plan, ce n’est pas courant. Et dans le cas de Black coal, c’est peut-être même un peu excessif, et révélateur d’une compétition (celle de la Berlinale 2014) qui n’était pas tout à fait assez consistante. Toujours est-il que décerner un Ours d’or à un polar poisseux et désenchanté aux accents romantiques mêlés de cynisme a quelque chose de courageux, presque de gonflé, tant le nouveau long métrage de Yi'nan Diao (Train de nuit) est à l’opposé de ce qui séduit d’habitude les jurys.
Une œuvre sèche et sombre, non dénuée d’un certain humour, mais dont l’apparente légèreté vire systématiquement au drame. Au début du film, une scène d’arrestation bon enfant se transforme en bain de sang. Plus tard, une nuit d’amour s’achèvera par une trahison. Comme si aucune chance n’était laissée aux personnages, tous condamnés à une mort plus ou moins cruelle, qu’elle soit réelle ou symbolique.
La mise en scène crépusculaire de Yi'nan Diao renforce cette sensation de noirceur absolue avec une succession de scènes éparses et courtes, de brusques ellipses narratives, des cadrages au grand angle qui créent une atmosphère presque post-apocalyptique. Le plus impressionnant, c’est la manière dont le cinéaste utilise la palette chromatique pour désincarner les images. La ville, grisâtre et monotone, où domine un blanc semblant étouffer les sons comme les corps, tranche notamment avec les couleurs saturées des intérieurs qui nimbent les personnages de teintes jaunes tirant sur le vert ou de rouge ensanglantant les visages.
Tout en respectant un certain nombre de codes propres au film noir, le cinéaste apporte ainsi son propre regard, transcendé par des libertés stylistiques saisissantes qui rendent le film éminemment contemporain. La solitude des personnages principaux, leurs difficultés de communication, les relations ambigües qui les relient (entre loyauté et influence mortifère) brossent le portrait d’un pays au bord de l’explosion. On s’est habitué, depuis People Mountain, People Sea de Cai Shangjun, et bien sûr A touch of sin de Jia Zhang-ke, à déceler la réalité sociale chinoise derrière des œuvres de genre parlant de vengeance et de violence brute.
Dans ce domaine, Yi'nan Diao ne nous épargne pas grand-chose, chorégraphiant même avec habilité un meurtre au patin à glace. La violence individuelle devient alors à l’écran le reflet d’une violence collective plus insidieuse, notamment basée sur l’argent et la puissance qu’il confère, et qui pousse les êtres au désespoir. Car derrière la figure de l’homme « mort-vivant » qui hante métaphoriquement Black coal se dissimule le triste destin d’une société où il n’est plus possible que de survivre.
MpM
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