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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Under the skin
USA / 2014
25.06.2014
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LA PIEL QUE HABITO
"Qu’est-ce que t’es belle !"
Avec Under the skin Jonathan Glazer réalise un polar métaphysique glaçant et halluciné qui ne cherche jamais à mettre le spectateur à l’aise. Au contraire, le cinéaste gomme tout ce qui pourrait donner l’impression d’être en terrain connu et brouille continuellement les codes du film noir pour n’en garder que les éléments les plus stylisés : la femme fatale, la quête existentielle, l’ambiance délétère.
Ce parti pris d’étrangeté s’accompagne d’un sens de l’ellipse élevé au rang d’art : la même situation a beau se répéter, encore et encore, il n’en montre jamais tout à fait les mêmes facettes, interrompant systématiquement les scènes à des étapes différentes du parcours (rituel) effectué par le personnage principal.
En plus de compter sur l’intelligence et la curiosité de son spectateur, le réalisateur joue à fond la carte du minimalisme et de l’économie de moyen, jusque dans ses choix esthétiques. Les décors, par exemple, se déclinent en trois sortes : un univers périurbain filmé en mode documentaire, voire en caméra caché ; des paysages dont la beauté naturelle génère paradoxalement une pointe d’inquiétude chez le spectateur, et des intérieurs oppressants où les distances perdent toute réalité, noyées dans un infini monochrome. Même la musique incite à la claustrophobie avec des nappes de cordes frénétiques, des sons répétitifs, des notes stridentes.
Tout est ainsi stylisé à l’extrême, jusqu’à Scarlett Johansson elle-même, qui trouve dans ce personnage de prédatrice sexy l’un des plus grands rôles de sa carrière. Au départ, Jonathan Glazer joue avec l’image de l’actrice, en ne la filmant jamais de face. On la voit à contre-jour, de dos, de côté, puis morcelée ou privée de visage, réduite au reflet de ses lèvres dans un miroir. Elle est comme l’idée que l’on se fait d’une femme, un assemblage de détails physiques qui finissent par former un individu complet. Lorsqu’enfin elle apparaît dans sa globalité, le spectateur qui attendait la star Scarlett Johansson dans toute sa splendeur est décontenancé d’en découvrir une version désacralisée, presque banale, ou en tout cas extrêmement réelle, et surtout étrangement désexualisée. Teint blafard, cheveux noir corbeau en bataille, léger embonpoint, elle joue avec l’image que l’on a d’elle, et semble s’approprier ce corps comme on enfile un costume.
La fascination qu’elle exerce sur les hommes qu’elle rencontre (à moitié scénarisée seulement, car la plupart des séquences où elle les aborde ont été filmées en caméra cachée, et ses "victimes" n’ont été prévenues qu’a posteriori) n’en est que plus étrange, quasi surnaturelle. Une attraction qui dépasse la simple attirance physique d’un individu pour un autre, et fait l’effet d’une pulsion de mort irrésistible. Le film joue d’ailleurs sur l’idée symbolique de vampirisation : le fan veut se nourrir de son idole mais c'est elle qui le cannibalise. Or, rien de ce que l’on ingère ne nous laisse indemne.
C’est là que le film entre dans sa phase métaphysique, se plongeant dans une réflexion déconcertante sur ce qu’est l’humanité. Qu’y a-t-il, au fond, sous la peau ? Jonathan Glazer utilise la figure classique de l’extra-terrestre pour porter sur le monde un regard distant et froid devant lequel l’agitation humaine reste opaque. Pour cette créature venue d’ailleurs, tout est irrémédiablement relatif : la beauté et la laideur, le bien et le mal, les croyances et les tabous. Nos émotions, nos valeurs, nos peurs et nos rêves ne peuvent toucher un être qui ne peut les ressentir. En revanche, ils peuvent l’amener à se remettre en question. Lui donner, peut-être, l’envie fugace de ressentir quelque chose à son tour. Un simple réflexe d’empathie peut ainsi faire basculer le récit, et amener l’entité extra-terrestre à interroger la notion d’humanité. Une apparence humaine rend-elle humain ? Des désirs humains rendent-ils humains ? Le désir d’être humain rend-il humain ?
Under the skin pose évidemment plus de questions qu'il ne donne de réponses, et plonge le spectateur dans un abime vertigineux, renforcé par l’absolue maîtrise cinématographique dont fait preuve le réalisateur. Son choix d’une mise en scène rigoureusement non spectaculaire, presque austère dans ses séquences les plus psychologiquement violentes (notamment l’agonie métaphorique des victimes), l’expose à une certaine incompréhension, voire à un rejet violent. Pourtant, cette manière de raconter l’horreur indicible à travers des plans d’un calme absolu fait du film une expérience plus abstraite et plus intérieure que fantastique ou angoissante. Mieux, la radicalité de la démarche va de pair avec le propos intrinsèquement ambivalent qu’il véhicule. Car c’est justement au moment de sa "mue" que l’entité, privée de son enveloppe corporelle, devient la plus humaine.
MpM
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