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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Lucy
France / 2014
06.08.2014
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UNDER THE SKULL
Luc Besson a toujours cette naïveté de croire que l’image, fut-elle épatante, peut sauver un récit. En empruntant (pour ne pas dire plagiant) des cinéastes comme Terrence Malick (pour l’aspect métaphysique, dinosaures de The Tree of Life compris dans le package), Christopher Nolan (pour l’imbroglio scientifico-réaliste), John Woo (les scènes d’action au ralenti) et même à ses propres histoires passées (de Taxi à Banlieue 13), Besson prouve qu’il ne parvient pas à se réinventer formellement. Il pique ici et là les idées visuelles dans l’air du temps. Jusqu’à abuser d’images déjà vues dans la publicité, le clip vidéo, les documentaires de type La terre vue du ciel. Elles s’insèrent pour illustrer notre quotidien frénétique et occupent finalement un bon quart d’un film d’une heure trente. Le vide pour combler le vide.
Récit binaire
Car face à ce manque d’originalité formelle – et parfois grotesque tant le cliché est éculé – il aurait pu s’en sortir avec son scénario. D’autant que le pitch était prometteur et qu’il a essayé de le rendre crédible : nous avons le droit à de véritables cours de biologie. Hélas, l’épopée de Lucy s’affaiblit au fil du film, pourtant court. L’intrigue s’amincit, les enjeux se diluent. Ce qui aurait du être une course contre le temps ne nous stresse jamais pour l’héroïne. Les méchants deviennent des pantins risibles. Les savants des observateurs impuissants. Les flics, des employés dociles. Le suspens est rapidement éteint dès lors que le personnage principal domine avec facilité tous les autres. Le combat est inégal, truqué d’avance. Etrangement, toutes les scènes d’action sont ainsi évacuées puisque Lucy contrôle mental et matière. En osant déséquilibrer son film ainsi, Besson prenait forcément un risque. Après un premier tiers plutôt palpitant, il déraille malheureusement vers un propos nébuleux et assez confus qui privilégie le délire scientifique plutôt que le sens cinématographique.
Théorie du genre
Cela tient à deux éléments qui fragilisent l’ensemble de son « concept ». D’abord, il a laissé le genre (action/thriller) lui dicter un rythme, des séquences, une forme de cinéma, vrillant parfois du côté de Kill Bill (sans laisser le temps à une scène de s’installer) ou s’obligeant à une course-poursuite dans Paris (totalement irréaliste, tant on ressent les effets spéciaux). Cela l’empêche de faire respirer son histoire, de se donner le temps d’y ajouter des ingrédients essentiels pour faire le lien entre le pitch, son message et sa conclusion finale. A trop vouloir jouer aux gendarmes et aux triades (version moderne des cowboys et des indiens), on assiste à des scènes invraisemblables comme le déballage d’un arsenal d’armes, Place du Panthéon, devant des voitures de flics…
Personnages secondaires
Et puis, il y a les personnages. Le manque de finesse dans l’écriture n’est pas le problème. Lucy souffre avant tout d’une désincarnation. Les êtres humains ne comptent pas. Lucy elle-même n’a rien d’humain. Elle semble indestructible, immortelle, invincible (bref on s’inquiète assez peu de son sort). Les autres ne sont que des stéréotypes, qui n’ont rien pour exister. Pas d’interaction, pas de réelle psychologie. Ils jouent juste un rôle : le neurologue, le commissaire, le trafiquant. Il n’y a même aucune interaction entre eux : au mieux ils balancent leurs dialogues (pour expliquer et faire avancer l’histoire), au pire ils s’interrogent à voix haute sur ce qu’ils font dans cette galère. Le mutisme même des scientifiques face à Lucy est révélateur d’un dysfonctionnement narratif. « Elle a raison, taisez-vous » semble nous dire le film.
Odyssée de l’espèce
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Du coup, cet aimable divertissement - parce que reconnaissons-le, l’image et la musique sont séduisantes, on s’ennuie assez peu, c’est, au second degré, plutôt drôle - maladroit, vaniteux, déjà démodé conduit à un paradoxe saisissant : tandis que Lucy conquiert son cerveau jusqu’à en exploiter la totalité, celui du spectateur se désemplit, et n’a besoin, au final, que de quelques neurones pour être stimulé artificiellement. Cette entreprise de décérébration face à un film qui vante les capacités neurologiques de l’être humain stupéfait. Un peu comme cette image, là encore facile, attendue, pompière, où Lucy croise Lucy (la première femme de l’Histoire), et tend son doigt comme Dieu le pointe vers l’index de l’Homme sur le plafond de la Chapelle Sixtine. Nous devenons ce primate pas évolué et attendons que Lucy nous tende sa clef USB (so années 2000) qui fera de nous des hommes hyper-intelligents.
C’est là que se révèle la limite du cinéma de Luc Besson : trop solitaire, le scénariste et réalisateur tourne toujours autour de bonnes idées, souvent gâchées par une envie de « faire » un cinéma spectaculaire, en oubliant à chaque fois la dimension dramatique. C’est aussi là qu’il a un flair imparable : d’Anne Parillaud à Milla Jovovich, il a toujours su trouver l’actrice qui pouvait sauver ses films. Scarlett Johansson ne fait pas exception. Qui mieux qu’elle, la voix immatérielle de Her, l’extra-terrestre déshumanisée d’Under the Skin, pouvait être à la fois une bombe (sexuelle et fatale) et une héroïne (irréelle, comme un personnage de BD, et crédible) ? Lucy, comme tous les films de Besson depuis Nikita, est un nouvel album de bande dessinée dans la filmographie du cinéaste. Un objet qui doit tenir dans une quarantaine de pages, et peu importe si quelques cases manquent. La folie du projet comble toujours les défauts de l’objet.
vincy
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