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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Gemma Bovery
France / 2014
10.09.2014
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LA MUSE DU BOULANGER
« Moi, je préfère la Princesse de Clèves. »
Après Tamara Drewe, adaptation d’un roman graphique de Posy Simmonds remixant "Loin de la foule déchaînée", le classique de la littérature anglaise signé Thomas Hardy, voici Gemma Bovery. Simmonds revisite cette fois-ci le classique de Gustave Flaubert en le transposant à notre époque.
Dans les deux cas, le génie de l’auteure anglaise n’a jamais trouvé la bonne tonalité au cinéma. Tamara Drewe forçait souvent trop dans le délire des situations très anglaises et les dialogues. Gemma Bovery insiste trop souvent sur les silences et le romantisme, forcément dramatiques.
Mais la force du récit et la subtile partition des comédiens sauvent cette passion tragique du marasme que l’on craint au fil des scènes. Anne Fontaine a suffisamment d’expérience pour s’approprier cette dérivation d’Emma Bovary. En choisissant Fabrice Luchini pour le rôle pivot de cette comédie dramatique de la vie conjugale, elle insuffle des pointes d’humour et une dérision salvatrices. Certes, Luchini fait son show, comme dans Alceste... quand il rejouait le Misanthrope. Mais, ici, il s’amuse de la faiblesse de son personnage. « En dix secondes, avec ce petit geste insignifiant, ça en a été finit de dix ans de tranquillité sexuelle ». Il est à la fois l’instigateur, le metteur en scène, le spectateur (voyeur) et le manipulateur de ce désastre dont il est exclut malgré lui. Il est aux portes de la démence, persuadé que « la vie imite l’art », que Flaubert a décrit parfaitement ce qui va advenir.
Face à lui, la ravissante et sensuelle Gemma Aterton, qui refuse d’être Emma Bovary, mais se glisse parfaitement dans la peau de Gemma Bovery. « Une femme banale qui ne supporte pas la banalité de sa vie, je ne trouve pas ça si banal, moi » explique Luchini/Flaubert. De fait, entre sa mélancolie et ses amants, il n’y a rien de banal dans sa vie. L’Anglaise et le boulanger sont tous deux dévitalisés, retrouvant progressivement goût à la vie, mais pas en symbiose. Luchini subit sa passion, impuissant, frustré, n’osant pas. Il est aussi terne que Niels Schneider est lumineux, charnel, sexuel.
Comme toujours chez Anne Fontaine, la passion sexuelle l’emporte : elle aime les adultères, ces corps qui s’unissent dans l’interdit et provoquent le chaos sentimental de ceux qui restent dans le cadre. « Il ne se passe rien mais en même temps c’est intéressant ». Tout est dit dans ce résumé du livre de Flaubert par Gemma Bovery.
Tous les films d’Anne Fontaine depuis quelques années sont sur ce registre. Avec celui-là, il y a un peu plus d’humour, un peu moins de mélo. C’est ce qui le rend plus plaisant. Mais pas forcément plus intense. Il y a pourtant de jolis moments comme l’érotisme qui se dégage de la fabrication du pain. Un orgasme à la levure. Pétrir la vie, la chair, les mots… mais pas les images : tant de scènes semblent de la flânerie visuelle, manquent d’inspiration.
Heureusement certains personnages mettent du piment et la vision des anglais comme des français est assez réjouissantes. Car tous font un retour aux sources (la campagne, ce dogme qu’on veut imposer pour se retrouver) comme tout citadin aspirant à une nouvelle vie. Or, tous ces changements de vie sont ratés. Le boulanger perd la tête en confondant les livres et la réalité tant il s’ennuie, le couple d’anglais se sépare lentement, et même le couple franco-britannique snob et francophobe semble insatisfait.
Aucun ne sera déçu et Fontaine offre un final brillant qui compense toutes les failles et les fragilités d’un film plus français qu’anglais (comprendre : ça manque peut-être de cet humour british si délicieux). La réalité va devenir plus empoisonnante que le roman. Sans rien révéler, elle se permet une fin en trois coups : trois visions d’une même séquence dissipant une à une le malentendu auquel nous avons cru. Trois points de vue, trois personnages, trois amoureux, trois coupables. Et comme une chef, la réalisatrice ajoute un ingrédient secret : l’épilogue. Une chute excellente qui remet le film définitivement sur les rails.
vincy
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