|
Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
|
|
|
|
|
Love is strange
USA / 2014
12.11.2014
|
|
|
|
|
|
AMOUR POUR TOUS
L’Amour est étrange : on s’aime depuis 28 ans et tout va bien, on célèbre alors cette longue vie de couple par un mariage et ensuite rien ne va plus. Un professeur de musique est convoqué par son employeur, une école catholique : il est licencié. On lui reproche officieusement de s’être officiellement marié avec la personne qu’il aime depuis toujours, qui est un homme… Love is strange est l’histoire de ce couple George et Ben, de nos jours, à New-York.
A la différence de quantité de comédies romantiques où le mariage représente la finalité happy-end du film, Love is strange débute précisément par un mariage. C’est une belle fête joyeuse qui rassemble la famille et les amis autour des amoureux qui approchent la soixantaine. Le sujet du mariage entre deux personnes du même sexe qui agite certaines sensibilités depuis quelques temps est ici évacuée de manière la plus simple : c’est un mariage comme n’importe quel autre mariage entre deux personnes qui s’aiment. La seule différence est que celui-ci célèbre une longue union qui dure déjà depuis plus de trente ans. Les proches sont réunis autour d’un piano sur lequel joue George pendant que Ben commence une chanson: ce moment qui présente au spectateur à la fois les deux personnages principaux mais aussi les autres protagonistes du commence sous le signe d'un grand bonheur. Un peu plus tard George est licencié et avec Ben, ils arrivent à la conclusion qu’ils n’ont plus les moyens de rester dans l’appartement où ils vivaient, il leur faut en trouver un autre moins cher. Le temps qu’il faudra pour que celui-ci soit vendu et il leur faut trouver un autre hébergement, en sollicitant leurs proches. en couple, et ils doivent se résigner à vivre de manière temporaire séparés l’un de l’autre. George va sur le canapé de voisins (des policiers gays) tandis que Ben va sur le lit superposé du fils de son neveu. Cette nouvelle organisation est comme une nouvelle vie qui commence…
Love is strange était l’un des films en compétition du 40ème Festival du cinéma américain de Deauville, où on avait déjà fait connaissance de son réalisateur Ira Sachs en 2005 avec son film Forty shades of blue, plutôt ennuyeux. Entre temps il a fait le film Keep the lights on beaucoup plus inspiré, et d’ailleurs remarqué par un Teddy Award au Festival de Berlin en 2011. Ira Sachs est devenu un cinéaste très impliqué pour défendre la diffusion de films à thématique gay, et à Deauville il était venu défendre fièrement son film accompagné de mari et enfant. Love is strange est distribué aux Etats-Unis par un très gros distributeur (Sony Classics) mais il a subi la mésaventure d’un classement interdit aux moins de 17 ans par la MPAA, décision ressentie comme injuste et qui fait controverse puisque qu’il n’y a aucune scène comportant des éléments de nature sexuelle ou violente ( Expendables 3 est passé ok pour les plus de 13 ans). Le film évite même le plus possible tout militantisme pro-gay hormis l’élément déclencheur en introduction (le licenciement) et plus tard une discussion dans un bar. Il s’agit d’abord d’une tranche de vie d’un (vieux) couple (charmant) qui se retrouve plus fragile qui nous est racontée.
Love is strange n'est finalement que l’histoire émouvante de deux amoureux qui par la force des évènements se retrouvent séparés contre leur gré. Le film s’appuie sur cette séparation pour raconter par petites touches leurs parcours et les liens qui les unissent. Ce couple de sexagénaires interprété par les magnifiques Alfred Molina et John Lithgow se révèle très attachant au fur et à mesure des mésaventures qu’ils vivent chacun de leur côté. Tandis que George/Alfred Molina ne peut pas se coucher car dans le salon où est son canapé il y a une fête avec une vingtaine d’inconnus, Ben/John Lithgow doit dîner avec son neveu et son épouse (la trop rare Marisa Tomei) qui se disputent. La situation d’être déraciné de chez soi et de se retrouver à la fois coupé de sa moitié et coller à des "étrangers" permet de mettre en relief la vie d’avant la vie de George et Ben. Les deux comédiens incarnent parfaitement leurs personnages, l'un plus paternaliste, l'autre plus introverti. Ils n'ont pas besoin de se tenir la main (ils ont longtemps vécus cachés) pour montrer qu'ils sont indissociables.
Les moments de retrouvailles sont autant de scènes qui abordent le temps qui passe, et avec lui l’inquiétude du futur. Le thème d’une mauvaise santé liée à la vieillesse arrive avec une note dramatique, mais en parallèle il y a aussi un adolescent de la famille en quête d’encouragements.
Le film oscille ainsi entre scènes qui font sourire et d’autres un peu plus triste, avec au final une certaine idée de transmission d’un bonheur possible. la seule manière, après tout, de passer le relais.Tout en délicatesse, cette musique de chambre s'offre de jolies variations, entre conflits, accidents de la vie, dérision naturelle, touchantes émotions, et bon goût général. Une sorte de partition de jazz qui dénonce, sans cris ni procès, l'hypocrisie d'une société et les dégâts de la précarité.
Kristofy
|
|
|