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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Praia do Futuro
Allemagne / 2014
03.12.2014
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SE SAUVER
«- Pourquoi tu t’en vas ?
- Je ne peux pas vivre dans un endroit sans plage. »
Sur le rivage de la Praia do Futuro (la Plage du futur), trois hommes vont fixer l’horizon. Une ligne pas forcément droite, par delà une mer très agitée, qui sera leur destin. Des Héros (qui n’en sont pas) et des fantômes (qui n’en seront plus). Divisé en trois chapitres, trois époques distinctes, le film a pour fil conducteur un jeune homme brésilien qui, par le hasard des circonstances – un accident mortel – va se déraciner de son pays, changer de vie.
Praia do Futuro est un film mathématique. Le prologue et l’épilogue se répondent symétriquement. Un quatuor devient duo pour finir en trio. Malgré cette structure narrative calculée et assez froide, l’œuvre est plus impressionniste que réaliste, axée sur la psychologie des personnages et les non-dits, les actes plutôt que les explications.
Cela donne une impression de flottement. Le film essaie de capter, avec plus ou moins de justesse, le mal-être de ce brésilien exilé, sa « saudade ». De doutes en colères, de la maladie à l’ennui, tous les symptômes sont passés en revue. Chaque scène prend son temps mais toutes ont un sens. C’est surtout leur inégalité qui est frappante. Le réalisateur Karim Aïnouz essaient d’équilibrer son film entre des séquences captivantes – celle où le couple, dont l’un est moustachu et très seventies, chante Aline de Christophe, en français dans le texte par exemple – et des scènes plus banales, parfois trop banales même. Il peut atteindre la grâce en un plan, lorsque son héros décide de son destin sans un mot, juste avec un sourire, immobile dans un train qu’il aurait du quitter.
La mise en scène alterne ainsi la froideur des paysages et la chaleur des corps. Le Brésil qu’il filme est loin des clichés, malgré l’océan. La Plage du futur est vraiment mal nommée tant l’air et l’eau très salés rouillent les bâtiments et le mobilier. Fortaleza a des airs d’ancienne cité utopique qui s’est usée avec le temps, une station balnéaire aux allures de ville industrielle. Berlin n’est pas plus glamour : artères bitumées, immeubles où s’entassent les logements, faubourgs et zone désaffectées… Et la plage allemande, sur les rivages de la Mer Baltique, paraît froide et triste.
A l’inverse les hommes dégagent une forme d’animalité. L’homo érotisme est omniprésent. Les corps sont nus, souvent filmés à hauteur d’épaules ou de hanches, la peau dorée, les muscles saillants. Les baises sont bestiales (peu importe qui prend l‘autre, dans une voiture ou dans un lit, pour consoler un veuf ou prouver son lien amoureux).
Mais dans ce cadre grisâtre, entre quelques moments où les personnages s’entrechoquent, le film raconte la vie d’un homme déchiré. Un ancien sauveteur de plage (où les vagues sont périlleuses) qui a échoué à sauver le compagnon de celui qui va devenir le sien. Un brésilien, brun, et un allemand, blond, hantés par ce passé, par cet accident déclencheur. La mort les a réunis. Deux noyés qui s’embrassent.
Une histoire d’amour compliquée, qui exige des sacrifices. Deux hommes qui s’attachent l’un à l’autre. Cependant celui qui a quitté son pays a rompu les amarres. Coupé en deux, il recherche toujours le soleil, la plage, mais, intégré dans son nouveau pays, il a détruit les ponts qui le reliaient à ses racines jusqu’à en oublier sa mère et son frère.
Le frère est le troisième homme. Il surgit comme un fantôme, abandonné, immature. Dans ce monde où les femmes sont rares, où apparaissent furtivement, il est triplement étranger : brésilien, hétérosexuel, orphelin.
Mais l’arrivée de cet intrus ne sert pas le scénario, qui se détache de son personnage central pour se partager entre trois existences solitaires. Les lignes de fuite qui composaient le cadrage des plans font place à un film en fuite vers une fin éthérée. Tout devient plus gris, plus mélancolique. Il n’y a plus de lumière ni d’éclats de vie. L’assimilation à Berlin et l’affirmation de soi les ont conduit à destination, loin de Fortaleza.
Pour que le bonheur soit parfait, il faut une plage. Une drôle de plage où la mer s’est retirée. Alors s’achève la route. Un passeur, deux immigrés. Un ex, un frère, et un sauveteur qui n’a finalement sauvé que lui-même. Au début la musique était rock electro, les motos faisaient des chevauchées sauvages dans les dunes brésiliennes. A la fin, la musique est plus douce, les motos filent tranquillement sur une autoroute. La Plage du futur c’est ce rivage où tout est apaisé. Où chacun peut vivre sa vie comme il veut.
vincy
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