Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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Qu’Allah bénisse la France


France / 2014

10.12.2014
 



BLACK FRENCH LIKE ME





«- Mais nous on s’habille à la manière du prophète.
- Ah parce que le prophète, il portait des Air max ?
»

Rappeur, slameur, poète, écrivain, musiciens, Abd El-Malik est doué. En cinéaste, ses premiers pas sont prometteurs, même si, parfois, ses références écrasent un peu trop son style.
En adaptant sa propre biographie, il ne filme pas seulement son ascension, il ambitionne de faire le portrait pas forcément élogieux mais très sincère d’une France qui est mise à l’écart, souvent caricaturée. Filmé élégamment en noir et blanc à la manière d’un film de Jim Jarmusch, Qu’Allah bénisse la France est une histoire au passé (une histoire passée), qui hérite des 400 coups de Truffaut, d’un Condamné à mort s’est échappé de Bresson, de La Haine de Kassovitz avec les mots d’un Carné-Prévert. Ces influences éclairent le film comme elles lui font de l’ombre.

Dans la cité vraiment pas radieuse de Neuhof près de Strasbourg, on s’insulte, on s’engueule, on s’embrouille. Le commissariat de police est une deuxième maison. La langue est métissée mais chacun est dans son clan. Dans une même chambre, posters de foot, rangées de livres (« ma bibliothèque est mon seul bling-bling ») et tapis de prière peuvent coexister. Ce qui n’empêche pas aux destins des protagonistes de diverger.

La gravité

Car si le film suit le parcours d’un élève doué rêvant de former son groupe de musique, un érudit qui sera aussi prêcheur religieux et chanteur de rap, un jeune homme dédoublé entre la délinquance, la malhonnêteté, et l’érudition, la soif d’émancipation, c’est aussi l’observation d’une jeunesse française et d’une communauté qui se dessine en arrière plan.

Ce sont souvent les plus belles séquences, les plus singulières. Des jeunes qui jouent au foot et deux mecs qui se fâchent derrière le terrain : pas un mot, juste l’image et la musique. Ou ce plan fixe, lors d’un enterrement : les noms des hommes s’affichent un par un sur cette « photo de famille », avec, pour chacun, la cause de leur décès : assassinat, overdose, sida, suicide, accident. Une hécatombe sans paroles.

C’est un fait, on peut avoir des rêves (de fric ou de zik), la réalité est moins mirifique, avec du sang, du vomis, de la pisse (et il y a de quoi se pisser dessus quand les règlements de comptes sont à la mitraillette). Car leur comportement est influencé par le cinéma américain, les Scarface et autres Scorsese.

Il se rêve debout

Abd El-Malik, sans être étranger à cet univers, n’en est pas moins distinct. Il parle verlan mais lit Rousseau. Le film dramatise, subtilement ou grossièrement selon les scènes, son chemin aux frontières du Bien et du Mal, ses dilemmes et son éthique. La fin justifie-t-elle les moyens ? De petits larcins en pacte avec de diable de dealer Escobar, il est constamment « borderline ». « Il faut avoir pour être » clame-t-il. Peu importe comment on l’a ? Se dessine alors un film insidieusement moraliste, ce qui n’est pas négatif en soi. D’autant que d’incompréhensions en jugements, on comprend ces habitants relégués dans les cités et sans portes de sortie. Le rejet - « Nous ce pays on l’aime, mais il vous aime pas. On n’est pas chez nous ici », l’incapacité à faire entendre sa voix, de faire accepter qui on est : autant de douleurs intimes qui ne parviennent pas à s’extérioriser. Cela justifie pleinement cette voix intérieure qui scande la rage, les sentiments, l’envie, une voix off qui slam des textes de chansons, véritables poèmes. Voix off (en dehors) qui ne vise qu’à devenir on (publique, donc radiophonique).

« Arraché de la misère par culture / quand je serai connu, je serai comme Albert Camus » scande-t-il. Mais pour passer de la misère à Camus, l’ascension est un chemin de croix, pavé d’épines. Sans trop de relâchements et avec quelques jolis moments, construit comme une partition musicale avec ses ponts, ses cassures de rythme, ses chœurs et ses solos, Qu’Allah bénisse la France n’enjolive aucune réalité. Car c’est bien elle qui tue les rêves. Les erreurs du passé se payent toujours cash. Comme le disait l’écrivain Indien, Rabindranath Tagore, « Si vous fermez la porte à toutes les erreurs, la vérité restera dehors ». Alors l’auteur-réalisateur-sujet du film plaque sa caméra sur chacune de ses erreurs, comme on pourrait faire une psychanalyse en images. Pour tenter d’approcher une vérité, au milieu des doutes et des mensonges, de la culpabilité et des silences traitres, de l’espoir et de la foi, des contradictions intellectuelles et spirituelles à la critique raisonnée.

Pourquoi avoir peur?

Emporté par une musique envoûtante de Laurent Garnier, il trace sa route, de manière empirique. Enraciné dans sa cité au milieu de ses « frères », il va s’épanouir et trouver ses réponses dans un voyage rimbaldien doublé d’un mariage républicain.
C’est ainsi qu’Abd El-Malik, maladroitement certes, payant sans doute son audace de vouloir aborder trop de sujets à la fois, offrant parfois une vision idyllique de certains problèmes, refusant l’âpreté et la dureté de certaines situations, lui-même sans doute trop influencé par Scorsese (tout en regardant du côté du néo-réalisme italien), offre sa vision de la (de sa) vie. Le résultat est inattendu tant il applique à la lettre, en images et musiques, de manière parfaitement incarnée par ses comédiens son motto : « aimer la vie c’est déjà vouloir la réussir ». Aimer le cinéma, c’est déjà vouloir réussir son film.
 
vincy

 
 
 
 

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