Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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A Most Violent year


USA / 2014

31.12.2014
 



A MOST STRAIGHT PATH





«- On dirait qu’on t’attaque de toutes parts. »

Prometteur, A Most Violent Year nous replonge dans cette époque où New York était fier de son World Trade Center et envahit par un taux de criminalité astronomique (que nous rappelle régulièrement les infos à la radio). Au croisement entre les années 70 et 80, J.C. Chandor nous plonge dans un film noir ultra-référencé, loin, formellement, de ses deux précédents films (Margin call et All is Lost). Pour ce qui est du lien entre ces trois réalisations, en revanche, nous sommes moins dépaysés : un homme affronte l’adversité. Ce n’est plus la finance ou l’océan, mais un système pourri, où la corruption menace son intégrité et son honneur.

Le film est noir car il y a peu d’espoir. Il est cerné par des personnages menaçants (procureur, épouse, employé, avocat, banquier,…), qui franchissent la ligne jaune et même rouge en permanence. Les innocents n’ont pas le pouvoir. Jusque dans son foyer, il est confronté à l’esprit cupide et violent des êtres. C’est sans doute cette opposition constante avec les autres qui rend le personnage d’Oscar Isaac (épatant avec son jeu d’acteur scorsesien, paraissant lâche quand il n’est qu’incorruptible et digne) aussi passionnant.

Dans un environnement peu glamour – la direction artistique est vintage -, cette histoire de guérilla entre mafieux du fioul souffre avant tout d’une construction théâtrale un peu trop systématique, reproche qu’on faisait déjà au récent American Bluff de David O. Russell. Dans A Most Violent Year, le scénario nous met à rude épreuve avec sa binarité. Le film n’est qu’une succession de duels verbaux, où Isaac est le pivot central. Heureusement, la mise en scène nous évite des champs / contre-champs et cherche toujours un angle, un cadre variant les duos. Cependant Chandor ne cherche jamais à se défaire de ses influences au point de nous lasser d’être en terrain si familier. « Parfois, on fait des choix qu’on ne peut plus effacer » comme il est dit dans le film. C’est exactement pareil pour cette réalisation, dont le parti pris était sans doute intelligent sur le papier, mais s’avère moins convaincant à l’écran. Il y a bien quelques poussées d’adrénaline lors d’un braquage ou d’un accident de voiture. Et surtout lors de cette poursuite en voiture, à pieds et en métro, qui scotche avec peu d’effets mais une réelle tension. Là le film s’enrage un peu et pousse le si sage héros hors de ses limites. Pourtant, Chandor se freine, comme le personnage se contient. Dans ce film, la sauvagerie qui habite en chacun des humains est exploitée de manière presque cérébrale, à la Kubrick, sans amener un quelconque regard neuf sur le sujet. A une exception près, cette violence qui couve dans le personnage de l’épouse, incarné par une Jessica Chastain sublime en femme fatale cachant bien son jeu. A elle seule, elle dévoile toutes les nuances d’une femme assumant cette part sombre qui peut exploser et mener à l’irréparable.
Dans ce monde de gangsters, leur couple aussi fusionnel que divergent est bien le seul intérêt réel d’un film longuet et complaisant. J.C. Chandor a voulu faire un film d’époque, stylisé, à la manière de. Pourtant, la vulnérabilité des hommes, la fragilité du pouvoir aurait pu conduire le cinéaste, comme dans ses deux premiers films, à dessiner le portrait d’une masculinité faillible.

Mais en restant dans le cadre très fermé d’une communauté où le machisme est une affaire d’égo, il se refuse à compromettre son personnage central et à lui faire perdre la face. Car il s’agit bien d’un théâtre des apparences où chacun va tomber le masque et révéler son jeu (« true colors »). En ce sens, son film est aussi hitchcockien (avec la mort aux trousses) que scorsesien (avec un empire qui s’écroule sous les pieds de son roi). L’usage de la musique, fabuleuse, souligne encore plus cette impression. L’absence de réel suspens – un vague Macguffin autour d’une négociation commerciale – renforce cette idée.
Mais contrairement à Scorsese, où la morale a son importance, et à Hitchcock, où la psychologie est primordiale, Chandor n’applique ni l’un ni l’autre. Au mieux critique-t-il en creux ceux qui n’existent que par ce qu’ils possèdent. Avoir avant d’être. Au pire ce n’est qu’un homme piégé par tout le monde, trop honnête.

A Most Violent Year frustre davantage qu’il ne nous emballe. Même la tragédie finale, quatuor au bord d’un précipice pour qui l’avenir qu’on devine sanglant est incertain, semble trop appliquée pour nous marquer durablement. Cependant, l’imprévisibilité de la séquence fonctionne comme un électrochoc après tant de diversions et de digressions. Même une victoire sera entachée de sang. La symbolique est évidente : le pilier de l’empire sera baptisé par un crime. On comprend mieux pourquoi Mister American Dream n’existe pas sans un adjectif qualificatif moins correct : Mister Fucking American Dream.

Le rêve américain ne peut pas exister tant cette civilisation baigne dans l’hémoglobine et des relations humaines dictées par le fric.
 
vincy

 
 
 
 

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