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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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DRÔLE DE TÊTE
"Qu'est-ce qui se passe dans la tête à l'intérieur de la tête ?"
Qui n'a jamais eu envie de rejoindre un groupe de musique complètement décalé ? Eh bien c'est ce qui arrive à Jon, cet apprenti compositeur qui intègre les Soronprfbs, groupe de pop avant-gardiste dont le leader, le fameux Frank, n'enlève jamais sa tête en papier mâché. Véritable objet filmique hybride, Frank est tantôt une comédie ludique, tantôt une fable sur l'art et la créativité. Mais le véritable challenge du film est de constamment jouer avec l'absurde et le grotesque sans jamais tomber dedans, même avec ses personnages principaux sortis d'un hôpital psychiatrique. Explications.
Une histoire classique
Bien que faisant le portrait de Frank Sidebottom, un artiste qui a vraiment existé, Frank narre avant tout le parcours initiatique de Jon, ce jeune musicien qui rêve de grandeur, de gloire et de succès. Pas étonnant donc que le développement du film se fasse de manière assez classique. Jon nous est présenté comme un solitaire toujours la tête pleine de mélodies. Puis il fait la rencontre des Soronprfbs par hasard et rejoint leur groupe. Il découvre leur univers atypique. Vient ensuite pour lui le moment de prendre ses marques, de faire ses preuves et l'enchaînement de situations qui marque sa trop grande implication. Enfin, l'élément de résolution vient clore la sympathique histoire des Soronprfbs. Bref, très classique !
D'un point de vue narratif, le récit de Frank ne révolutionne pas le genre de la comédie dramatique. Celui-ci est plein de bons sentiments, de scènes comiques et de phrases qui font réfléchir. Qui plus est, ses personnages, bien que littéralement sortis d'un asile de fous, forment un groupe à la cohésion si douce et sereine que l'on a du mal à y croire. Comprenez par là qu'ils sont en si grande osmose que tout cela sonne parfois faux. Gommer les personnalités des autres membres du groupe, ceux que l'on découvre peu finalement, permet aux scénaristes Jon Ronson et Peter Straughan d'accentuer celles de Frank et de Jon, mais aussi celle de Clara. Si l'on peut discuter de la pertinence d'un tel choix, il fait tout de même sens. Jon étant l'élément perturbateur qui va en quelque sorte ruiner le lien qui relie Franck à Clara.
Un film hybride et foutraque
Néanmoins, tout cela est un bien pour un mal. Car la force de Frank est de sortir des sentiers battus et de nous surprendre constamment. Preuve en est avec le double accident de voiture ou la mort d'un des membres. Si l'on a tendance à toujours vouloir faire rentrer une œuvre dans une case, Frank se démarque par sa capacité à ne jamais pouvoir être rangé. Le film de Lenny Abrahamson emprunte tour à tour ses caractéristiques au burlesque (irrationnel et comique violent), à la comédie noire (fatalisme et gêne occasionnée) et à la satire (moquerie et dérision). Ainsi, l'envie de notoriété de Jon se traduit par ses interactions sur Twitter, dressant un portrait peu flatteur de la notoriété et qui se termine à l'hôpital. Le tout est un brin absurde mais jamais complètement. Le réalisateur ne perd pas son récit de vue, ne se moque pas du destin du "vrai" Frank Sidebottom, Chris Sievey, mais romance quand il le veut sa vie. Le tout donnant une impression de surplus de bonnes choses : trop d'idées, trop de possibilités, trop d'humour à décrypter et un film trop court. 95 minutes.
Très plaisant par le caractère atypique de ses deux personnages principaux, Frank l'est davantage dans sa technique et dans sa symbolique. Les personnages vont et viennent à travers le cadre, marquant le passage du temps et la direction que prend le groupe. L'esthétique est réaliste au possible. Que ce soit visuellement ou diégétiquement, le tout nous est présenté sans artifice ou idéalisation. Les maladies mentales ne sont pas sublimées et le banal n'est pas supprimé. Quant au moment d'enregistrement de l'album en pleine forêt, il est l'occasion de scènes cocasses mais aussi de très beaux plans. Frank relève d'une grande modernité en cela que le film est ancré dans une réalité particulière où la célébrité serait synonyme de bonheur, où le festival South by South West est gage de succès, où le nombre de followers est un indicateur de hype et où l'anonymat est assimilable à un maladie. Autant d'éléments que le film met en avant, traite parfois maladroitement ou de manière inégale mais face auxquels il y a une esquisse de réflexion. Et c'est déjà pas mal.
Certes Frank a des qualités certaines (un scénario bien écrit, des acteurs au top, un développement classique mais juste) mais également quelques défauts (une fin un peu trop ouverte, des personnages secondaires délaissés, un développement trop classique). Original par son sujet, Frank est le meilleur film de Lanny Abrahamson. Et il est avant tout à voir pour la performance d'un Michael Fassbender toujours proche de la perfection et pour la révélation Domhnall Gleeson, également à l'affiche d'Invincible.
wyzman
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