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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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L'enquête
France / 2014
11.02.2015
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LA BOÎTE NOIRE DU POUVOIR
L’Enquête arrive à point nommé : quand le journalisme, tel qu’on le fantasme, rencontre une affaire de corruption financière touchant au politique et à la justice, on pense inévitablement au cinéma américain, de Soderbergh à Stone, de Lumet, à Pakula. Pour une fois, c’est un film français sur un sujet français, assez récent qui plus est (les derniers jugements datent du début des années 2010). Bref, Vincent Garenq s’attaque à du contemporain et du complexe. Ce n’est pas la moindre de ses qualités.
Thriller journalistique, façon Hommes du président, L’Enquête, est une chronique d’un affrontement entre les plus hauts niveaux du pouvoir et les bas fonds sordides de la finance, allant jusqu’à mêler un Président de la république, un ancien premier ministre, des têtes d’affiche de l’opposition, le futur éditeur de Valérie Trierweiler, et surtout un journaliste-écrivain (Denis Robert) et un juge.
Pas de croc de boucher, mais un tourbillon assez vertigineux de faits et le stress qui l’accompagne. Clairement, le réalisateur se met du côté du journaliste. Avec Gilles Lellouche pour l’incarner, on sait d’avance qu’il nous sera sympathique. L’acteur a le physique idoine pour être aussi déterminé que lessivé. Coupable d’avoir fait trembler les puissants. Comme dans Présumé coupable, le précédent film, il dévoile les coulisses de la justice. Mais cette fois-ci, il ajoute l’ingrédient supplémentaire : les arcanes de la presse. Et comme dans Présumé coupable, l’innocent devient la victime, le soupçonné. Dès la première séquence, des policiers perquisitionnent le domicile du journaliste, piégé par ceux qu’il menaçait. Garenq aime immerger le spectateur dans le malaise. Dans Présumé coupable, c’était une honnête famille qui voyait son destin basculé à l’aube par l’arrestation des parents. Dans L’Enquête, le journaliste est dans le même état d’hébétude face à l’enclume qui lui tombe dessus.
Ce qui s’en suit c’est une investigation traditionnelle dans un labyrinthe complexe où toutes les transactions sont opaques et toutes les liaisons masquées. C’est d’actualité : le blanchiment d’argent, l’évasion fiscale, les secrets bancaires. L’avantage est qu’on connaît la fin. Garenq ne cache jamais le prix à payer. Et l’échec de cette enquête est contrebalancée pour la sympathie et l’intégrité qu’on éprouve à l’égard du journaliste et du juge (Charles Berling, épatant).
Le réalisateur ne révolutionne pas le cinéma dans ce genre. Toutes les figures de styles imposées y sont. La caméra à l’épaule pour la forme, l’image un peu « informatisée », l’aspect documentaire, les rencontres secrètes, les filatures…
C’est davantage le travail sur le scénario qui est remarquable. Tout est simple à comprendre malgré la mécanique tortueuse de l’affaire rarement bien expliquée dans les médias. Ce qui est moins bien traité ce sont les motivations de chacun, que l’on devine (l’ambition, l’argent, le pouvoir). Des deux côtés, tout le monde franchit la ligne rouge. Tout le monde aiguise son appétit de revanche. Tout le monde prend des risques quitte à enfreindre des règles.
Le thriller s’avère malgré tout redoutablement efficace et on regrette que le cinéma français soit trop timide et ne produise pas plus de films comme celui-là. Bien sûr c’est une synthèse, un peu romancée, héroïsant aussi bien le journaliste que le juge. Mais il est salutaire de voir qu’une fiction peut s’amuser tout en restant sérieuse. De voir qu’il y a obstruction à la justice (L’Ivresse du pouvoir, Chabrol), manipulation du journalisme, dans un monde où la finance se croit intouchable, démontre bien de l’utilité d’un tel film. Mais contrairement à Présumé coupable, L’Enquête est moins âpre, moins violent, moins noir aussi. Sans doute était-ce le compromis à faire pour rendre cette histoire accessible et susciter des vocations à ceux qui croient (encore) qu’un juge et un journaliste peuvent-être des héros, même si, à la fin, c’est l’ennemi (la finance) qui gagne.
vincy
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