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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Citizenfour
USA / 2014
04.03.2015
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THE BIG SNOWDEN THEORY
"Aujourd'hui, je ne peux que vous donner ma parole."
Après My country, my country (nommé aux Oscars 2010) et The Oath (sur la prison de Guantanamo), la journaliste et réalisatrice Laura Poitras revient avec un nouveau documentaire polémique : Citizenfour. Dans ce dernier, cette Américaine de 50 ans met en lumière les pratiques anti-terroristes du gouvernement Obama et dresse un portrait du lanceur d'alerte Edward Snowden. Oscar 2015 du meilleur documentaire, Citizenfour est un objet filmique à voir de toute urgence. Explications.
Surveillance rapprochée
Début 2013, Edward Snowden prend la décision de révéler des documents top secrets concernant les programmes de surveillance planétaire de l'Agence nationale de sécurité (la NSA). Le gouvernement américain écoute (et espionne) ses citoyens, mais pas que. A cause de ses propres opinions (politiques), il se tourne vers deux journalistes américains (Glenn Greenwald et Laura Poitras) pour faire le tri et choisir ce que la population a vraiment besoin de savoir. Dès leur première rencontre dans une chambre d'hôtel de Hong Kong, Laura Poitras filme tout - car rien ne doit être mis de côté. Pendant deux heures, la réalisatrice nous offre ainsi une plongée sous haute tension dans la bureaucratie américaine, dans les tréfonds des agences de renseignement et les instances internationales.
A coups d'archives d'audiences et d'interview de personnes haut placées, Laura Poitras donne à voir une version de l'histoire, celle d'Edward Snowden. Film politiquement engagé, Citizenfour pointe du doigt les pratiques peu morales et très opaques de la NSA, du FBI, de la CIA, de l'administration Obama, mais également du gouvernement allemand et des méthodes de surveillance britanniques. Sans jamais grossir le propos, Citizenfour dérange par son approche réaliste et intimiste à la fois. Et bien que l'on ne veuille le voir ainsi, le nouveau documentaire de Laura Poitras a tout d'un film d'espionnage.
Dans une chambre d'hôtel impersonnelle donc, Edward Snowden nous livre ses impressions sur ce qui se passe actuellement dans le monde et sur les agissements de nos leaders. Entre deux grosses révélations, il prend le temps de nous donner deux-trois astuces pour protéger son identité et éviter d'être espionné. Grâce à une musique de fond omniprésente et angoissante, le récit qui découle des propos de Snowden crée une atmosphère anxiogène. A tout moment, on s'attend à voir des agents fédéraux débarquer de nulle part, à le voir être interrompu dans le récit de ses folles aventures. Car entre les écoutes téléphoniques, les versions changeantes, les agents doubles de la CIA et ces scènes tournées en Angleterre, au Brésil, en Chine ou aux Etats-Unis, Citizenfour est un film d'espionnage total.
Biopic en temps réel
Au-delà des révélations considérables et presque ahurissantes disséminées à travers le film, Citizenfour se regarde principalement pour Edward Snowden. Doté d'une aura actuelle qui dépasse l'entendement, le jeune homme aujourd'hui âgé de 31 ans se révèle sous un autre jour. A mi-chemin entre le geek paranoïaque que l'on imaginait et le bienfaiteur philanthrope, il se laisse filmer dans son intimité, parle à visage découvert et informe les journalistes (présents dans la pièce avec lui) ainsi que le spectateur (bien cramponné sur son siège) pourquoi il s'acharne à vouloir tout dévoiler. Sans glorifier le simple informaticien qu'il est, Citizenfour montre comment ce (quasi) Monsieur Tout le Monde a changé le monde et justifie la paranoïa ambiante.
De ce fait, on le suit partout, on le voit tout le temps. Il est le sujet principal du film, dépassant fondamentalement les révélations sur les écoutes. A coups de gros plan, de décadrages et de surcadrages, Laura Poitras en fait un homme sympathique et charmant. Quand il ne change pas ses lentilles ou tente de se mettre du gel dans les cheveux, cet homme ordinaire regarde les clips de Selena Gomez ou parle de sa petite amie, de cette femme qu'il aime et dont la sécurité lui importe beaucoup.
Travail de pro
En acceptant d'apparaître dans Citizenfour, les journalistes Glenn Greenwald (indépendant, et auteur d'un excellent livre sur l'affaire Snowden qu'il a révélé), Ewen MacAskill (du Guardian) et Jeremy Scahill (de The Intercept) apportent une plus-value certaine. Leurs personnalités ressortent régulièrement, leurs dilemmes éthiques font chaud au cœur et leurs prises de parole sont utiles et font avancer le récit. Avec l'administration Obama pour seul rempart à la vérité, le documentaire de Laura Poitras se laisse aller, ici et là, à une chronique des médias. Si les preuves sont déjà toutes prêtes - ce qu'Edward Snowden ne cesse de répéter -, tous doivent jouer contre le temps. Que publier ? Quand publier ? Qui impliquer ? Autant de questions essentielles dans une affaire aussi conséquente.
Avec sa réalisation maîtrisée, sa mise en scène subtile et ses plans larges de métropoles, Citizenfour informe autant qu'il éduque. Bien que le rythme soit parfois un peu long, lourd et pesant, la séquence finale sidère et impressionne. A tel point que l'on se demande pour quand est prévue la suite. Parfois un peu froids et cyniques, les propos émis n'ont de contraste que la présence chaleureuse d'Edward Snowden et le caméo de Julian Assange, autre lanceur d'alerte. Bien construit et bien documenté, sans être formaté, Citizenfour est un documentaire incontournable. Et c'est sans doute le meilleur documentaire sur l'administration américaine jamais réalisé depuis Fahrenheit 9/11 de Michael Moore, dans un style radicalement différent.
wyzman
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