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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Dear White People
USA / 2014
25.03.2015
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SCHOOL DAZE
"Chers Blancs, le nombre d'amis noirs désormais requis pour ne pas paraître raciste vient de passer à deux. Et désolée, cela n'inclut pas Tyrone, votre dealer de cannabis."
Pour son premier long-métrage, le cinéaste Justin Simien frappe fort, très fort. Après Whiplash, son Dear White People était l'autre grosse sensation de Sundance 2014 (festival dont il est reparti avec un Prix spécial du Jury). Politiquement incorrect, le film dresse un bilan concret et tangible de la situation actuelle dans les universités américaines. Entre satire sociale et comédie loufoque, Dear White People ouvre les portes à un vrai débat, et les fenêtres à une réflexion sur notre rapport à l'autre.
Une université prestigieuse. Des étudiants blancs et noirs qui se côtoient au quotidien et prétendent vivre en harmonie. Car sous les apparences, un nouveau racisme fait rage et à notre époque, il est bien plus subtil que celui, plus visible de l'époque de la ségrégation (qui existe toujours malgré tout). Le choix de ses amis, de ses conquêtes, des mots employés, tout est maîtrisé. Mais une soirée organisée par un groupe de blancs va raviver certaines tensions et faire scandale.
Tour d'horizon
Des images d'une soirée, des étudiants enragés, un corps administratif débordé et une question brûlante sur toutes les lèvres : comment en est-on arrivé là ? Construit sur un énorme flash-back, Dear White People se révèle passionnant à suivre dès ses premières minutes. Basé sur son propre vécu, le réalisateur Justin Simien s'inscrit largement dans la comédie satirique visant à dépeindre le quotidien d'étudiants noirs dans un milieu de blancs, c'est-à-dire, ici, l'enseignement supérieur. Avec ses quatre personnages un chouïa clichés (ou juste basiques), le réalisateur (qui est aussi le scénariste) se joue de nous, mélangeant sexe, amour, pouvoir et se moque des codes. Il caricature et dénonce à la fois.
Spike Lee chez Almodovar
Ainsi, Lionel est un jeune étudiant noir et homosexuel avec une énorme coupe afro et une seule volonté : ne pas être étiqueté. A côté de lui se tient Sam, jeune métisse militante qui sort avec un blanc mais ne l'assume pas. Face à elle, Coco, étudiante noire qui fait tout son possible pour intégrer l'élite blanche, quitte à masquer sa négritude ou bien à s'en moquer pour être mieux acceptée. Vient enfin Troy, fils du doyen, représentant des élèves et dans un entre-deux constant à cause de son métissage. A eux quatre, il symbolisent toute une génération et toute une époque. Celle où être noir n'est pas un souci à condition que l'on en fasse pas des tonnes et que l'on accepte tous les stéréotypes encore en vigueur. Car sans nécessairement faire état d'une lutte entre les étudiants (en fonction de leur couleur de peau), Dear White People a l'intelligence de pointer les différences de deux cultures et de nous éclairer - si nécessaire - sur des inégalités que l'on aurait tendance à oublier.
Postulats et stéréotypes
Dear White People part donc de plusieurs postulats. L'Amérique a élu un Président noir mais cela a sans doute beaucoup à voir avec un problème de conscience. Les noirs ne peuvent être racistes puisque ce mode de pensée (l'illusion de la supériorité) ne leur rapporte concrètement rien. A diplômes équivalents, le blanc finit président de l'université, tandis que le noir n'est que doyen. Le cinéma américain néglige l'histoire des noirs ou en fait des personnages stéréotypés : un esclave, une secrétaire, une vieille dame. Et la liste de ces postulats est encore longue.
Sans jamais prétendre avoir réponse à tout ou être en mesure de délivrer une morale particulière, Dear White People fait dans l'instantané, dans le présent. Le film de Justin Simien fait un état des lieux à un instant donné. Avec sa typologie des étudiants et des noirs, le film tend lentement mais sûrement vers l'expérience sociologique. Si l'on ne peut passer outre le petit coup de mou au milieu du film, le propos ou plutôt les propos émis ici sont une véritable bouffée d'air frais. Justin Simien ne mâche pas ses mots, fait dire les choses telles qu'elles sont à ses personnages et nous fait réfléchir. Les neuf parties du film s'imbriquent parfaitement les unes dans les autres mais créent un récit atypique.
Nouveaux talents
Si la réalisation de Justin Simien n'est pas infaillible, on le lui pardonne. Habitué aux court-métrages, il gère plutôt bien son temps et ne délaisse aucune intrigue pour une autre. Même parmi ces histoires d'amour un peu bancales. A commencer par la relation entre Sam et Gabe qui, il faut bien le reconnaître, est drôle et touchante à la fois. Tessa Thompson (vraie révélation du film) et Justin Dobies font parfaitement le boulot et nous charment dès leur première scène, à l'inverse du duo Lionel/George (on fait rarement plus platonique comme histoire gay). Et la relation Coco/Troy n'est pas mieux. Sans que l'on ne comprenne comment ou pourquoi, les deux finissent au lit, sans aucune sensualité et sans aucune alchimie. C'est dommage. Mais par chance, les acteurs que sont Tyler James Williams (alias l'inoubliable Chris de Tout le monde déteste Chris) et Teyonah Parris (Coco) font rire tant leurs personnages sont ridicules.
Avec son ironie et son name-dropping nécessaires et essentiels, Dear White People réussit à nous donner de l'espoir. En se moquant des noirs comme des blancs, Justin Simien parvient à ne pas donner dans la critique acerbe mais dans le portrait objectif. En totale union avec son sujet, cet Américain de 31 ans réalise un premier long-métrage plutôt réussi. Pas parfait, mais incontournable dans un contexte où les communautés se replient sur elle-même, se clivent entre elles, en Europe comme aux Etats-Unis.
wyzman
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