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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Big Eyes
USA / 2014
18.03.2015
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L'ART-NAQUE
Ce n’est un secret pour personne que de dire de Tim Burton qu’il aime les univers décalés à l’étrangeté mélancolique proche de l’envoutement sombre. Tout, nous disons bien tout, dans la vie romanesque, car improbable, de Margaret Keane, était de nature à intriguer le cinéaste d’Edward aux mains d’argent. Justement, ce qui frappe d’entrée dans l’hypothèse narrative autour de ce couple à la trajectoire si particulière, c’est son parti-pris esthétique très coloré, un peu rose bonbon, léger, proche du caractère naïf des contes de fées pour petites filles.
De fait, l’univers, qui pourtant est bien en place, ne peut se faire menaçant malgré son caractère injuste, insidieux, confiscatoire. Un peu comme si l’histoire, pourtant tirée d’un fait réel, était au contraire irréelle, purement imaginative, singeant avec malice le bien connu American Way of Life. L’aspect lisse, surfait et, à vrai dire, un peu vain du film, pulse un fait-divers amoral en une chronique doucereuse qui retient le temps, propose des rencontres, esquisse des sourires sincères comme gênés, favorise les postures et, bien sûr, expose les yeux grands ouverts des jeunes filles peints par Margaret.
Cette dichotomie cinématographique assumée par Burton s’installe plutôt habilement puisque elle sert de support presque contradictoire à la destinée, toute autre, de Margaret. Le ton est donné. Il ne changera pas d’un iota scellant dès les premières bobines l’adhésion ou le rejet du spectateur. Ce particularisme entre une tonalité insipide et un sujet fort transporte ce Burton dans une forme d’indistinction aussi aisée que troublante. Sans être un grand film, Big Eyes a le mérite de créer sa propre petite musique cérébrale sans jamais délaisser son regard critique envers la marchandisation de l’art.
Tim Burton a bien compris qu’il ne servait à rien d’en rajouter. Sa mise en scène se fait donc discrète, presque anodine même si élégante, mais également répétitive puisque ouverte essentiellement sur le destin en marche d’un couple piégé par la duplicité, surmoi d’un dominé (Christopher) avilissant une dominante (Margaret) ou la question de l’intime dans un rapport de confiance prend le pas sur celui de l’art en particulier. Christopher (Christoph Waltz en cabotin pervers) dupe Margaret (la belle Amy Adams toujours impeccable) pour la contraindre à rester en retrait dans le silence de l’artiste qui n’existe plus qu’au travers de sa fonction première : celui de peindre. Elle vit (survit) alors reclus pendant que son mari la spolie sans vergogne en se faisant passer pour l’auteur de ses toiles.
Néanmoins, nous étions en droit d’attendre plus. Plus que cette mise en situation, certes convaincante, mais au final bien inoffensive. S’il y a bien une montée crescendo, témoin palpable du refus de Margaret de continuer ce jeu malsain, la rupture semble attendre son heure, inéluctable climax d’un film devenu pour le coup classique avec une ascension – fut-elle paradoxale car à sens unique – et une chute. Les interstices d’intimité entre Christopher et Margaret ne sont pas suffisamment utilisés pour développer le caractère étrange, oppressant, malsain et schizophrénique du monde qui recouvre alors Margaret.
Cette constatation – déception – s’explique en partie pour l’intérêt du réalisateur envers Christopher. Le monde que celui-ci se crée est celui de faux, du faux-semblant, de l’image véhiculée par l’art de l’esbroufe, de la gouaille, du culot, du mensonge. Savoir se vendre, être connu (et non pas reconnu) ou singulier serait, en définitive, synonyme de succès. Tim Burton ne s’arrête que très peu sur la valeur artistique des tableaux de Margaret Keane. Pour cause, ils sont bien d’elle. Seul change la personne qui en revendique la paternité. D’où la prédominance de ce jeu de dupe qui consiste à faire exister un homme non pas pour lui-même mais par l’intermédiaire d’un autre (Christopher cultive cet art du factice jusque dans ses tableaux).
La conclusion du film, au tribunal, scelle le parti-pris d’un long-métrage « psychologisant » un fait-divers qui n’arrive pas complètement à retranscrire les faiblesses passagères d’une artiste coincée dans une époque patriarcale (années 50 aux États-Unis), ni à nous faire ressentir le souffle froid de la dépossession.
Geoffroy
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