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UN VILLAGE FRANÇAIS
« On a perdu la guerre, pas nos femmes ».
Suite française, adaptation du roman inachevé d’Irène Némirovsky (et publié 62 ans après sa mort en déportation) est une tranche de vies dans un morceau d’Histoire : la France occupée, avec ses résistants (rares), ses collabos, ses Justes et ses soumis. Le film est hélas loin d’être convaincant, et vire à la caricature du drame historique, notamment avec l’abus de voix off étouffant toute tentative émotionnelle.
Suite française, il y a cependant quelques éléments intéressants, plus ou moins bien exploités. Souvent seules (les hommes sont au front), les femmes résistent mal à la tentation de soldats nazis torses nus. Les rares mâles franchouillards qui restent sont faibles ou vieux. Ou ces nantis qui se soucient peu de leurs compatriotes et cherchent à tout prix à conserver leurs privilèges en pactisant avec le camp d’en face, nouvelle puissance, sans dilemme. Ou ces jalousies, mesquineries, ragots, dénonciations qui montrent que l’humain est plus souvent bas que grand.
Mais tout cela est enseveli dans une romance impossible entre un nazi mélomane (la musique adoucit la barbarie) et sensible et une française. Alors que Suite française est résolument un film de femmes porté par un message sur la force de l’esprit collectif, le scénario préfère se focaliser sur une résistante qui couche avec l’ennemi. Malgré un rôle formidable, en femme française, Michelle Williams déçoit tant son jeu semble impersonnel, assez fade même, n’est pas à la hauteur face à une Kristin Scott-Thomas, certes égale à elle-même, mais charismatique ; et surtout face à Matthias Schoenaerts, qui, pour le coup, surprend autant qu’il épate avec un personnage nuancé et contrasté.
On peut toujours louer la volonté du cinéaste de ne pas avoir voulu écrire un film binaire, manichéen même. Mais son humanisme est noyé dans une mise en scène trop sage, trop conciliante. Cette impression de voir un vieux film où le récit semble plus télévisuel que cinématographique, ne valorise pas le cadre nauséabond de cette période ni même les contradictions de ceux qui l’ont vécue. La guerre devient presque un théâtre joyeux et folklorique, où la débauche des uns et la misère des autres s’amusent sans se soucier des bombes. Il faut attendre le dernier quart d’heure pour que le film reprenne sa tonalité de film de guerre, de thriller. Ce final tragique et romanesque où l’amour, l’infidélité, l’imprévu se mélangent conduit logiquement à une forme de frustration. Comme si une suite allait être promise au spectateur. Bien sûr, à l’instar du livre, il est inachevé. Mais pourquoi avoir ce sentiment que le film commence au moment où il finit, quand, dans le roman, il nous laissait juste en suspension. Pourquoi, au bout du compte, avoir trahi la fin du livre ?
Cette liaison fatale et charnelle (la guerre et les haines ne peuvent pas résister aux sentiments), entre rivalités et complicités, qui remplit version cinématographique de Suite française aurait fait un très bon livre chez Harlequin : c’est dire le décalage avec le roman originel dont la qualité littéraire n’est jamais ressentie. Le film ne s’avère qu’un album d’images en mouvement.
vincy
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