Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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Blind


Norvège / 2014

29.04.2015
 



L’EMPRISE DES SENS





«- Ça doit faire bizarre de se faire sucer par une aveugle. Même si c’est sa femme. »

Comme son titre l’indique, Blind est une œuvre autour d’une personne aveugle. Idéalement, le cinéma, dès lors qu’il prend ce point de vue, devrait être un long écran noir (qui survient une fois dans le film). Mais avouons que ce formalisme radical n’aurait pas beaucoup de sens. C’est le travail sur le son et l’imaginaire du personnage qui va révéler les sensations qui traversent et hantent Ingrid. Les plans sont serrés, comme pour se rapprocher de ses pensées…

A la manière des premiers Egoyan, Eskil Vogt signe un drame élégant autour d’une femme qui a perdu la vue et doit reconstruire toutes ses habitudes en faisant confiance à son ouïe et son toucher. Mais la malice du scénario provient d’une narration beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît. Ce que l’on croit être une construction autour de quatre personnages s’avère finalement deux récits qui s’entremêlent.

Dans une société où il est si facile de s’isoler, où plus personne ne se parle, ne se touche. La sexualité est triste, au mieux voyeuriste, les couples battent de l’aile, on reste chez soi, enfermé. Le constat est froid et même glaçant. Mais Blind est bien plus que cela. C’est une œuvre sur le fantasme : du sexe cru à la projection de soi dans une autre vie. La solitude des êtres, la virtualité des relations sont comblées par l’imagination (celle d’un film, d’un livre, celle qui divague au moindre son).

C’est sans doute cela qui fascine le plus même si le film est parfois maladroit quand il s’agit d’évoquer des événements extérieurs comme la tuerie d’Oslo, trauma national. Tout comme l'érotisme est assez facile, pour ne pas dire pauvre. La maladresse provient aussi de la confusion volontaire qu’induit la narration. Le metteur en scène mélange les lieux au sein d’une même conversation, nous perturbant. On frôlerait le fantastique, mais l’image reste la même, continuellement stylisée, sobre, épurée. Si le spectateur est largué, il n’y a rien d’étonnant. Cela peut paraître factice, voire tiré par les cheveux. Il faut juste se laisser aller, ne pas comprendre, se glisser dans cette metafiction.

Au final, il s’agit simplement de l’histoire d’une femme aveugle qui veut sauver son couple, tomber enceinte, et accepter sa nouvelle vie. L’histoire d’une longue période où elle n‘est plus celle d’avant et pas encore celle qu’elle devra être.

C’est sans doute trop construit, trop calculé, trop froid pour émouvoir. C’est aussi assez singulier et cette « vision » d’une femme qui doit réapprendre à vivre sans avoir peur de ses démons peut toucher.
 
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