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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Loin de la foule déchaînée (Far from the Madding Crowd)
/ 2015
03.06.2015
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BREAKING THE RULES
«- Demande-moi Gabriel»
Loin de la foule déchaînée aurait presque des allures de mélos à l’ancienne. C’est d’autant plus surprenant que Thomas Vinterberg ne nous avait pas habitué à un film aussi esthétisant, classique, et référencé. Et ici il convoque les grands : Autant en emporte le vent, pour l’indécision féminine et la photographie, 1900 de Bertolucci, David Lean (la Fille de Ryan semble si proche du personnage de Bathsheba) ou encore Les duellistes de Ridley Scott.
Cependant, si dans la forme, le film est très éloigné des précédents films du cinéaste danois, dans le fond, n retrouve toujours ce personnage central qui cherche une vérité et lutte contre l’adversité. Dans une Angleterre victorienne, où les hommes affichent leur pouvoir et leur autorité, Batshsheba est une iconoclaste, émancipée avant l’heure, éduquée, revendiquant son autonomie et rejetant la tutelle masculine. Insoumise, impétueuse, spontanée face à la meute de prétendants et d’adversaires.
Le scénario est une succession d’actes manqués et de revers de fortune, qui servent de rebondissements et revirements à une histoire avant tout romanesque. A trop vouloir remplir son films de moments forts, Vinterberg oublie parfois de le faire respirer, de laisser le spectateur profiter du temps qui passe. Pourtant, derrière l’image glacée et les paysages sublimes du Dorset, la critique sociale et les indécisions amoureuses de l’héroïne ouvrent des angles intéressants pour le spectateur. Incarnée par Carey Mulligan, qui sait varier toutes les nuances de son personnage, ce personnage féminin est d’emblée sympathique et charmant. Malgré quelques scènes proches du cliché des films de ce genre, malgré son incapacité à choisir le bon compagnon, son indépendance en fait une féministe d’avant les temps modernes.
C’est Paris qui doit choisir entre les trois Grâces. Mais Paris est une femme et les trois déesses, un triptyque complémentaire du mâle. Le soldat jeune, aristocratique et bellâtre, qui va lui ouvrir les portes de la sensualité. Le riche propriétaire, patriarcal et traditionaliste mais intelligent, sensible, passionné. Et l’Homme dans toute sa splendeur, respectueux, tendre et patient, solide et loyal. Matthias Schoenaerts se révèle parfait, à la fois viril et obéissant, on ne doute jamais de sa faiblesse.
Tout le récit va tourner autour des choix et des remords de Bathsheba. Pour les allergiques au romance, ce pourrait être une souffrance. Le réalisme de l’époque souffre du diktat des sentiments, qui emprisonnent le film dans un formalisme plus proche du feuilleton que du grand roman.
Techniquement parfait, Loin de la foule déchainée manque malheureusement de souffle, optant pour une émotion tendue et pudique plutôt qu’un drame bouleversant. Même si la fin diffère du livre de Thomas Hardy, et comblera les plus fleur bleue, on est souvent mis à distance des battements de coeur. Mais c’est au milieu du film que Vinterberg sort de son carcan, et nous montre à quel point il aurait pu hisser son film vers les fresques qui l’ont influencé. Lorsque Carey Mulligan commence à chanter, il offre un moment de cinéma qui prend tout son sens quand Michael Sheen s’unit à elle dans la chanson. Un texte simple qui révèle à la fois les tourments et le caractère de la femme et qui change le regard que l’on porte sur son courtisan. C’est avec cette séquence que le film trouve son plus beau moment.
Ne boudons pas notre plaisir. Le mélodrame est un très beau portrait de femme, appuyé par des beaux dialogues, des plans rapprochés de visages et une interprétation sans failles. Il aurait juste mérité qu’on lui donne une écriture moins classique, pour que le style figuratif s’efface au profit d’un tableau plus abstrait sur le genre. Car c’est sans doute ce qu’il y a de plus beau dans le film, et dans le roman : cette domination de la femme confrontée à trois hommes vulnérables et perdant la raison.
vincy
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