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LE FACTEUR RÊVE TOUJOURS DEUX FOIS
"Je savais bien que plus personne n’écrirait, avec le téléphone."
Dans la veine d’un cinéma dépouillé interrogeant les notions de narration, de fiction et de documentaire, Les nuits blanches du facteur nous emmène dans un village autour du lac Kenozero où les véritables habitants jouent leur propre rôle. Face à ces personnages réels, Andrei Kontchalovski évite à la fois la tentation du pittoresque, et le risque d’un récit artificiel, pour aller vers une intrigue presqu’entièrement relâchée où se succèdent des scènes quotidiennes et simples. On est dans un microcosme un peu figé dans le temps dont le cinéaste observe, à distance, les habitudes et les rituels. Rien de systématique ou de didactique, juste une chronique bienveillante qui prend son temps pour partager avec le spectateur quelques bribes de la réalité des lieux.
Le personnage central, filmé sans fard avec son visage ravagé et son teint verdâtre, pourrait n’être qu’une "gueule", destinée à impressionner ou surprendre. Mais devant la caméra du cinéaste russe, il laisse entrevoir une épaisseur insoupçonnée, une douleur indicible, une solitude désarmante. C’est autour de lui, dont l’humanité irradie, que se construit le film, tour à tour documentaire (la tournée du facteur qui fait office de lien social), onirique (les fameuses nuits blanches du titre avec ses étranges apparitions félines), comique (l’histoire d’amour avortée), presque fantastique dans l’épisode de la sorcière, voire plus social dans sa dernière partie. Il ne se passe pourtant presque rien, si ce n’est des silences, des regards, des traversées du lac en bateau, des repas. Tout le reste (c’est-à-dire les "rebondissements", les décisions) est gommé, laissé hors champ.
Ainsi, rien ne semble vraiment prêter à conséquences, ce qui donne l’impression d’une succession de scènes sans lien entre elles, sans impact. On n’est pas non plus étourdi par les dialogues, peu nombreux. Si malgré cela, l’émotion affleure indéniablement chez certains spectateurs, chez d’autres, cela peut être plutôt l’ennui. D’autant que le film est moins réussi dans sa partie urbaine, comme s’il perdait en force dès qu’il s’éloigne du lac, un peu à l’image des personnages. Pourtant, même si c’est fugace, certains passages rappellent le cinéma bouleversant et si humain de Sharunas Bartas : âpre, mutique, contemplatif, et plein d’une humanité poignante. Dans ces moments-là, Les nuits blanches du facteur est comme touché par la grâce.
MpM
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