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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Des apaches
France / 2015
22.07.2015
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LE FILS
«- Tu y a été au rendez-vous du mec sur la cassette ?
- Oui, j’y ai été. Et si je ne l’avais pas fait, tu serais pas là. »
Après le Western provençal >Adieu Gary, Nassim Amaouche nous livre un Parrain du côté de Barbès. Avec musique, décors (le resto chinois) et pétards à la Tarantino. Les Apaches ce sont des Kabyles, cette communauté à part, résistant au monde moderne en transmettant ses règles et coutumes, maniant l’argent avec un mélange de collectivisme et de capitalisme.
En premier lieu, le film est déroutant. Karl Marx (Le socialisme de mes rêves) est convié au milieu d’un prologue qui pourrait être un reportage d’un autre temps, avec une voix off lisant une fiche wikipédia. C’est la première piste : celle du regard porté, posé, sur les Kabyles. Une succession de portraits, une sensation de nostalgie, jusqu’à ces photos des premiers migrants venus d’Algérie renforcent cet aspect documentaire.
Une fois le début pédagogique passé, c’est une autre voie que suit le film : l’héritage. La transmission d’un père absent à un fils indifférent, qui se retrouvent par nécessité pour l’un, par curiosité pour l’autre. Le bâtard est l’ainé, et cela lui donne des droits. Deux « étrangers » font le lien : la mère, qui a élevé seul le garçon, et l’homme à tout faire, digne des films de mafieux américains.
On aborde alors le troisième chemin de traverse, plus audacieux, plus séduisant, où les temporalités s’entremêlent, où les individus se confondent. Comme si rien ne changeait, comme si on était toujours le fils de. Car il s’agit de hantise (le père qui n’était jamais là, l’enfance qui est toujours là, la mère défunte) avant tout. Et même parfois de fantômes : l’enfant qu’il était et qui réapparait, l’infirmière qui ressemble à sa mère, les ancêtres...
On ignore si Des Apaches est une autofiction (le réalisateur dans le rôle du voisin scénariste ?) ou une metafiction. Ce que l’on comprend, finalement, dans ce dédale c’est bien que Nassim Amaouche a voulu nous surprendre, nous perdre, nous interpeller avec un récit qui n’a rien de classique.
Réalité magique
Car il ne se passe pas grand chose dans ce film hormis ce vague prétexte de vente d’hôtel-restaurant insoluble. Il y a bien quelques flash-backs sur l’enfance du fils égaré, les souvenirs de sa mère, son côté Antoine Doinel, pour alimenter le scénario. Mais toute cette construction ne servira qu’à nous troubler.
Malgré la narration confuse, le cinéaste, à travers les errances mélancoliques de son personnage, sans racines et sans branches, planant sans but précis, nous embarque dans un voyage aussi étrange qu’intrigant. Et c’est bien ce réalisme magique cher à la littérature latino-américaine qui nous envoûte. Des Apaches nous séduit lorsqu’il perd toute prise avec le réel, se muant en un songe où la mère peut être aussi l’amante, l’amante le fantôme de la mère, où l’enfant coexiste le temps d’une scène avec le jeune homme qu’il deviendra, où le père et le fils sont le même homme, se croisant parfois. Avec habileté, le réalisateur fait passer son message : non pas celui d’un déterminisme, bien au contraire, mais celui d’un héritage génétique impossible à renier. Tel père, tel fils. Attirés par le même genre de femme.
Cette poésie presque fantastique est bien plus séduisante que le documentaire sur les Kabyles et la fiction assez banale d’une histoire de bien immobilier conflictuelle. L’ensemble peut paraître maladroit, mal agencé, trop brouillon même, mais ça ne manque ni de charme ni de ce souffle intime qui peut faire frissonner le spectateur. En nous déstabilisant avec le temps, les âges, les visages, le cinéaste sort d’une banale chronique familiale toute tracée pour apporter une touche singulière réjouissante et salutaire.
Tandis que son personnage vit à côté de tout et passe à côté de sa vie, nous sommes, au fil de l’histoire, de plus en plus près de ce clan de taiseux (pourtant bavards) et de solitaires. Car c’est bien la solitude des êtres qui imprègne toute l’atmosphère, cette incapacité à se relier facilement aux autres. Et c’est d’autant plus touchant quand ce rapprochement est insolite : avec une infirmière qui pourrait être sa mère, avec soi même en se souvenant de son enfance, avec son père parce qu’on lui ressemble, quoique l’on fasse. C’est finalement la magie du film de nous faire croire que le réel n’est qu’une dimension, parmi d’autres, de notre existence.
vincy
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