Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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Lena (Vergiss mein Ich - Lose myself)


Allemagne / 2014

22.07.2015
 



UNE FEMME COUPÉE EN DEUX





«- Je ne connais personne ici.»

Une femme perd soudain la mémoire. Il faudra un jour écrire une thèse sur les personnages féminins du cinéma allemand des années 2000. Toujours à fuir leur passé ou à ne pas pouvoir affronter le présent, parfois dédoublée, comme schizophrène. Lena a juste tout oublié, en quelques secondes. Tout est flou autour d’elle, elle ne reconnaît plus personne. Elle est perdue. Géographiquement, socialement, psychologiquement.

Evidemment, elle ne perd pas toute la mémoire. Elle a gardé sa culture générale. Mais aucun souvenirs personnels, aucun affect pour son entourage, rien de son travail, essentiellement fondé sur des tiroirs de connaissances qui s’empilent.

Le cerveau est enflammé. Et le reflet dans le miroir est brouillé. L’image est volontairement floue. Procédé un peu appuyé, un peu trop répété. Elle n’est pas absente, elle est juste vaporeuse, imprécise. Tout le film se construit alors sur la « reconstruction » de son identité. Maria Schrader interprète avec une belle énergie cette femme sceptique, agressive, paumée, curieuse, méfiante, malheureuse et amusée. Elle donne à ce film relativement statique la sensation de vertige nécessaire pour nous happer dans cette histoire où elle est l’intuition, la passion même, face à une mise en scène logique, froide, parfois très bien inspirée.

Jouer le je

C’est davantage la mise en abimes de cette femme qui inspire les meilleures scènes. Elle se désincarne : il y a deux Lena. Celle du passé, qu’elle imite, qu’elle interprète, telle une comédienne. Même si on lui dit qu’elle ne peut pas « jouer Lena » puisqu’elle est Lena. Et celle du présent, qui se fout d’être mariée (à un homme qu’elle ne reconnaît pas), qui redécouvre tout (y compris le plaisir de la chair avec un inconnu). En jouant deux rôles d’un même personnage, Maria Schrader se régale à performer jusqu’à dévorer le film. Elle se reproduit comme on copie une dessin à l’aide d’un calque. Le scénario ne manque pas d’atouts, notamment la scène de cul adultérin, entre dialogues cocasses et sexe cru. Mais c’est elle qui donne du relief l’histoire, qui se singularise (facilement) avec ces séquences courtes et fantasmagoriques où fenêtres et miroirs déforment la réalité. Car elle se largue bien dans l’irréalité, elle si cérébrale autrefois. Comme si elle avait décidé de déconnecter son cerveau.

Elle ne semble pas souffrir, mais fait du mal aux autres. Créatrice de bordel, folle mais honnête, petite fille égarée et femme consciente, elle se cherche, en quête de soi. « Je veux être moi » alors que ce « moi » n’existe pas, plus.

Freud se serait enthousiasmé pour un tel cas. Reste que le film manque un peu d’aspérité, de grain et démontre trop souvent son intelligence assumée. Le réalisateur Jan Schomburg a oublié parfois que le cinéma n’était pas qu’une affaire de découpage mathématique. Il manque un souffle parfois à cette image trop léchée, cette philosophie et cette psychologie trop réfléchies. Mais il y a quand même cette ardeur à vouloir sauver Lena, constamment au bord du précipice, et prête à tous les mensonges pour que le songe intérieur et brumeux qui l’envahit se dissipe, au moins aux yeux des autres.
 
vincy

 
 
 
 

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