Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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Marguerite


France / 2015

16.09.2015
 



QUAND J’ÉTAIS CHANTEUSE





« - De grâce, Monsieur, fermez la porte, c’est insupportable.
- Elle a toujours chanté comme ça ?
- Ah non, elle a beaucoup progressé !
»

Marguerite aurait pu être une fable. C’est une tragédie. Après tout, c’est assez normal pour un personnage qui aime tant l’opéra. Un amour déraisonnable, passionné, absolu, que seul l’amour pour son mari rétrograde dans son cœur.
Xavier Giannoli aime les fous. A coup sûr, en pleines années folles, Marguerite a un grain. A la limite de l schizophrénie, confondant sa vie rêvée et le réel, incapable de prendre une distance avec ce qu’elle est, préférant ce qu’elle croit vivre. L’ennui est un mal terrible qui la ronge. Pour le combler, attendant perpétuellement son mari volage et occupé, elle se clame soprano, et le clame (pour le plus grand malheur des oreilles de son entourage). Le réalisateur exprime une empathie visible pour ceux qui ont une vie décalée, souvent piégée par le mensonge. Comme pour ses précédents films, il faudra que la vérité éclate mais pas seulement. Là aussi, Marguerite ne fait pas exception, les parias sont sublimés, réhabilités, respectés.

Avec une Catherine Frot qui trouve ici l’un de ses plus beaux personnages, auquel elle insuffle une sensibilité touchante, une souffrance loufoque, le film révèle un jeu d’ombres et de lumières, une opposition entre deux mondes. Le carcan étouffant d’une bourgeoisie aristocrate (l’élite) se confronte à une jeunesse et une vie de bohème anarcho-bolchéviko-avant-gardiste beaucoup plus libre. L’aspiration de la scène et de ses projecteurs, de la mise en scène sous l’œil d’un appareil photo, de la grâce de l’opéra, se voit bridée par les forces obscures de la morale, de l’autorité, ou encore de l’hypocrisie.

Les jolies choses

Marguerite avait tout d’un grand film. Il est regrettable que le scénario gâche un peu le récit, au point de le rendre inégal, tantôt flottant, tantôt fascinant. Car Xavier Giannoli est inspiré. Il offre quelques beaux tableaux à la Renoir sur la société française. Surtout, il accompagne avec inventivité la folie de sa Marguerite en multipliant les ingrédients surréalistes. Le film devient de plus en plus onirique, offrant quelques séquences « arty » somptueuses, souvent mutiques et livrant ainsi un dernier quart d’heure parmi les plus beaux du cinéma français de ces dernières années.
Car le cinéaste ne manquait pas de bonnes idées. Ces photographies de la cantatrice à voix de crécelle qui traduisent ses angoisses, ces décors d’opéra qui révèlent l’excentricité contaminant l’environnement suranné de son milieu, et bien sûr Michel Fau en maître de chant, qui réveille le film dès sa première réplique.

Le massacre auditif est ainsi compensé par l’esthétisme travaillé du film. Marguerite fait l’éloge de la liberté, du métissage, de la marginalité, seuls éléments qui permettent de respirer et d’exister. Et la galerie de personnages gravitant autour de Marguerite permet de glorifier humblement les déclassés. On comprend bien que le poète, la jeune chanteuse qui veut faire du « moderne », le romancier romantique, la troupe du professeur de chant, et bien entendu le serviteur-photographe-protecteur-sauveur (un ange noir) sont les héros. Et c’est là que le scénario produit ses plus grandes failles.

Cassures de rythmes

D’abord, il efface rapidement l’environnement naturel de Marguerite – ces bourgeois à la peau parcheminée, empêchant une dialectique entre anciens et modernes. Ensuite, parce qu’ils sont inégalement traités, voire bâclés. Hormis son professeur cabotin, diva homosexuelle jamais caricaturale impeccablement incarnée par Michel Fau, et son homme à tout faire, qui s’avère le chef d’orchestre de toute cette farce, le créateur du véritable chef d’œuvre de tous ces artistes ratés (la vie de Marguerite), tous les autres subissent des coupes sévères dans l’histoire. On ne comprend plus très bien leurs évolutions, leurs allers retours, l’évolution de leur motivation. Le film perd son équilibre parce qu’il a pris du temps à les installer, à nous embarquer dans ce mouvement collectif pour finalement se focaliser sur un quatuor (Marguerite, son mari, son serviteur et son professeur). Les autres rôles secondaires sont alors renvoyer à ceux de figurants, exigeant du spectateur de nous désintéresser de personnages qui auraient pu conduire le récit vers une dimension plus critique. C’est le choix de Giannoli (et pas forcément le moins bon) de préférer l’histoire d’amour avec le mari et l’éclatement de la vérité. Mais pourquoi alors avoir pris tant de temps à nous faire aimer les autres et les faire revenir avec quelques incohérences. Un goût amer d’inachevé doublé par un montage qui s’enlise parfois dans un rythme irrégulier.

Le bûcher des vanités

Reste que Marguerite, aussi bancal soit-il, finit en beauté. Parce que le mensonge de chacun va les hanter longtemps, parce que tous ces hommes sont amoureux de cette femme formidable d’attachement, parce que, finalement, elle est la seule à percer le plafond de verre qui les étouffe, qui les accroche à leur vanité, leurs préjugés. Tous sont frustrés, incapables d’atteindre leurs rêves. Marguerite est absolutiste, prête à chanter devant un public, à pardonner, à aimer son mari toute sa vie. Son délire est peut-être dément, mais c’est aussi ce qui la rend différente et attirante. A vouloir la raisonner, on risque de tuer cette lumière unique qu’elle dégage. Car, certes, la musique est un des arts les plus intimes et les plus mystérieux, provoquant des émotions uniques chez chacun d’entre nous : alors entendre des airs d’opéra massacrés n’est pas forcément un plaisir. Chez Truffaut, on disait : « – Tu es si belle. Quand je te regarde, c'est une souffrance.
– Pourtant, hier tu disais que c'était une joie ?
– C'est une joie et une souffrance.
» C’est exactement ce que l’on ressent face à Marguerite. Qu’est-ce-que la beauté finalement ? Celle qu’on nous dicte ? Le laid ne peut-il être beau ? La souffrance ne provoque-t-elle pas, parfois du plaisir ? La liberté n’est-elle pas supérieure à l’ordre (et donc l’imperfection supérieure à la perfection codée) ?

Comme le dit le personnage de Fau, « Le génie et le ridicule sont très proches vous savez ». Le film n’a rien de génial ni de ridicule. Il est bien trop engoncé dans un formalisme classique pour cela. Mais son personnage central, sa Marguerite, est précisément génial (d’insouciance) et ridicule (d’inconscience). Elle chantera juste une seule fois. Un état de grâce, le chant du cygne. Elle s’entendra une fois, de profil (sublime séquence, très courte). Un coup de grâce, un hors-champ un peu, beaucoup, passionnément tragique.
 
vincy

 
 
 
 

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