Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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The look of silence


Indonésie / 2014

30.09.2015
 



SILENCE, ON OUBLIE





"Si vous continuez à considérer le passé comme un problème, il se reproduira."

Lorsqu’il a tourné son précédent documentaire sur la répression "anti-communiste" en Indonésie en 1965 et 1966, Joshua Oppenheimer a rapidement eu l’idée de lui adjoindre un 2e volet qui confronterait les bourreaux filmés dans un premier temps dans The act of killing au frère de l’une des victimes, l’ophtalmo itinérant Adi. C’est ainsi qu’est né The look of silence, film indispensable et terrifiant qui alterne sans aucun commentaire récits d’assassinats sordides et impossibles dialogues.

A plusieurs reprises, le réalisateur filme Adi en train de regarder des extraits des témoignages qu’il a recueillis, dans lesquels les bourreaux d’hier, demeurés les maîtres du pays, se vantent de leurs faits d’armes, parfois avec des reconstitutions presque burlesques. Son visage est impassible, son regard intensément concentré. Il ne dit rien, et ne se livre jamais sur ce qu’il ressent face à ces images qui, nous, nous bouleversent et nous glacent le sang. Même chose lorsqu’il parle avec les anciens criminels, posément et sans haine ni colère, mais parvenant malgré tout à les pousser dans leurs retranchements. C’est là encore le silence (souvent filmé dans la durée) qui trahit la douleur et l’impuissance du personnage.

Toute la grandeur du film repose sur cette intelligence de montage et cette maîtrise absolue des affects. Il fallait en effet cette rigueur intraitable pour ne pas transformer le projet de Joshua Oppenheimer en tire-larmes complaisant et voyeuriste, mais bien le garder dans le domaine du témoignage historique âpre et vital. Le film reconstitue ainsi à la fois les événements des années 60 (coup d’état, massacres organisés, soutien des Etats-Unis et victoire absolue des criminels, toujours au pouvoir) et le contexte indonésien actuel. On découvre la propagande pompière du régime, notamment auprès des enfants, l’ "oubli" organisé des événements, et surtout les menaces à peine voilées de ceux qui ont perpétré les crimes à l'évocation de leur culpabilité.

Passé le premier choc face aux tueries elles-mêmes survient en effet la deuxième vague de l’horreur, provoquée par le climat de terreur et de négationnisme qui subsiste encore aujourd’hui en Indonésie. Oppenheimer filme ainsi la succession de propos des bourreaux qui au mieux, se dédouanent ("Je ne savais pas !"), au pire, se mettent en colère ("Ils font semblants d’être religieux et tu oses m’accuser ?"), et qui, quoi qu’ils en soient, jouent la carte du temps qui passe et de l’obligation de suivre les ordres. Quand ce n’est pas le cynisme le plus absolu, à l’image du président du Parlement régional : "Si les enfants de mes victimes ne m’aimaient pas, je n’aurais jamais été réélu !"

C’est à ce moment que se profile l’ombre de l’Allemagne nazie, et d’une Histoire alternative dans laquelle Hitler aurait triomphé, permettant à ses partisans de raconter la Shoah de leur point de vue de vainqueurs. Côtoyant au quotidien les assassins de leurs enfants, parents ou amis, toute une partie de la population indonésienne vit dans ce climat de triomphalisme agressif et de peur permanente, privés de toute forme de deuil ou de justice. Au passage, le film ouvre une réflexion captivante sur le fait que ce soit toujours les vainqueurs qui écrivent l’Histoire et jugent les vaincus. Dans The look of silence, les propres enfants d’Adi apprennent ainsi que les "communistes" (c’est-à-dire tous les opposants aux militaires du coup d’état) avaient mérité leur sort. Tortures et émasculations comprises.

Dans ce mélange d’hypocrisie, d’autoritarisme et d’intimidation, chacun s’arrange comme il le peut avec le passé, et surtout avec sa conscience. Adi et Oppenheimer, eux, gardent le cap d’une démarche de compréhension et de recherche de la vérité, sans désir de vengeance ou d’accusation. Une position inimaginable pour leurs interlocuteurs qui les accusent de "faire de la politique" (apparemment un crime en Indonésie) et de remuer inutilement le passé. A plusieurs reprises, on craint tout simplement pour leur vie, et d'ailleurs de nombreux techniciens et participants au film ont souhaité figurer au générique sous la mention "anonyme" par peur d'éventuelles représailles.

Pourtant, la caméra d’Oppenheimer ne flanche jamais, et semble un rempart symbolique entre Adi et ses interlocuteurs. Sous son regard froid et impartial, les criminels d'hier n'osent pas tout à fait montrer leur nature réelle. Peut-être est-ce là l’essence de la tant vantée "magie du cinéma" : imposer le respect même aux pires représentants de l’humanité.
 
MpM

 
 
 
 

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