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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Seul sur Mars (The Martian)
USA / 2015
21.20.2015
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TIRER DES PLANS SUR LA PLANÈTE
Malgré l’échec cuisant d’Exodus l’année dernière, Sir Ridley Scott continue, à 77 ans, d’enchaîner les films en sautant d’un genre à l’autre comme si de rien n’était. Bien lui en a pris puisque Seul sur Mars vient de laver l’affront de l’insuccès par une franche victoire au box-office automnal américain. Ce plébiscite populaire valide en quelque sorte le ton d’un film malin, ultra-divertissant et construit comme une chronique spatiale 2.0 autour d’un astronaute qui se retrouve dans l’obligation de survivre seul sur la planète Mars.
Une telle gageure tient lieu d’énonciation pour ce survival décalé à l’humour pince-sans-rire. En effet, ce que déploie le réalisateur est à rebours d’une situation pour le moins dramatique et que beaucoup aurait abordé avec le sérieux qu’elle impose. L’austérité d’un monde froid et aride, le côté nécessairement anxiogène d’une dramaturgie affleurant constamment la mort ou l’aspect « claustro » propre au principe d’isolement sont, pour ainsi dire, gommés du long-métrage. Subsiste, alors, une atmosphère autre, plus mécanique dans son fonctionnement, un brin terre-à-terre, toujours pragmatique (que ce soit dans l’impératif de survie ou dans l’obligation de sauvetage), exclusivement positiviste (l’expérience scientifique comme seul recours possible). Le dernier film de Scott axe donc sans surprise son fil conducteur sur le caractère ingénieux et réfléchi de l’astronaute-botaniste Mark Watney dont le sang-froid devant une telle situation n’a d’égal que sa bonne humeur. Non content de prendre la situation avec philosophie, Mark Watney va réussir, entre autre, à faire pousser des pomme-de-terre là où il n’y a pas d’eau. Le mécanisme du système D fonctionne à bloc pour imposer sa grille de lecture sur un film plus divertissant qu’angoissant.
Ce faisant, Ridley Scott opère la bascule du survival a priori tendu puisque mal barré vers la chronique du type « mode d’emploi » ou comment survivre sur la planète Mars en 10 leçons. Cette approche, plutôt originale, assure le tempo d’une première partie immersive assez réaliste fourmillant de détails – ce qui ne veut pas dire qu’elle soit crédible en tout point – et ronronnant, via une mise en scène carrée, les journées de labeur de Watney. Malgré une introduction peu cohérente en raison du départ précipitée de la mission, nous sommes happés sans peine par la dialectique du « seul au monde » qui fait d’autant plus sens que l’action se déroule sur une planète vierge de toute colonisation humaine.
À ce titre, il faut sans doute saluer la performance d’un Matt Damon au diapason et visiblement investit dans son rôle. Il nous embarque sans difficulté dans son aventure ou, paradoxalement, il ne nous vient jamais à l’idée qu’elle puisse mal se terminer. Pour accentuer une telle adhésion point d’austérité excessive. Mieux, l’interaction devient l’arme maitresse d’une histoire qui se doit d’être vécue à défaut d’être ressentie. Ainsi, Mark Watney enregistre des vidéos de son expérience, face caméra, à l’instar de Jack Sully dans Avatar, afin de laisser une trace de son passage. Le spectateur est donc de connivence. Au côté de Watney dans cette épreuve. Le factuel prend le pas sur toute réflexion métaphysique voire traumatique du personnage. Le dialogue n’est pas intime mais technique, journalier, anecdotique. Sur ce point Seul sur Mars se rapproche plus d’Apollo 13 (Ron Howard) que du dernier Nolan (Interstellar).
Les ressorts dramatiques en prennent un coup, certes, mais pas la véracité d’un film peu brouillé dans sa narration par les scories habituelles du blockbuster US (histoire d’amour à l’eau de rose, revirement de dernière minute, traitrise, trauma du personnage principal…). Au contraire, tout concourt à laisser la science faire son chemin dans la résolution d’une intrigue ou l’on ne parle plus que de chiffres, de statistiques, d’angle d’attaque, de poussée orbitale, de rationnement, de formule chimique (hydrolyse)…
La dimension humaine se couche devant tant de technicité à l’œuvre. Et c’est dommage, car suivre Watney dans sa solitude martienne avait quelque chose de l’étude anthropologique ! La science, élevée au rang d’allié rationnel, sans faille ni compromis possible, supplante l’énergie parfois fragile, donc stimulante, de l’être humain. Sur ce point, le chassé-croisé entre les pontes de la NASA œuvrant comme de beaux diables à essayer de récupérer leur astronaute – quitte à s’allier avec la puissance chinoise – fonctionne plutôt bien malgré quelques longueurs et facilités scénaristiques.
Non, ce qui sonne en creux concerne la participation tardive, peu logique et quelque peu téléphonée des coéquipiers de Watney programmés à retourner sur Terre à bord de l’Hermès. Avec cette dernière partie, ou tout s’accélère inutilement par un resserrement spatio-temporel aisé, le réalisateur modifie le ton de son film pour le faire basculer vers le mélodrame grossier peu vraisemblable. Car, ne l’oublions pas, Seul sur Mars n’est pas un film axé autour d’une mission de sauvetage mais aborde sans détours les conditions, ressources et adaptabilités d’un homme en milieu hostile.
Même si la logique du film dans sa dimension populaire veut que chacun retrousse ses manches pour que l’irréalisable puisse se produire.
geoffroy
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