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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Le grand jeu
France / 2015
16.12.2015
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LE SALE EXERCICE DE L’ETAT
« Les nègres disent moins de bêtises que les journalistes »
Grande ambition que de faire un thriller politique en France aujourd’hui. Pourtant, c’est souvent dans ce genre qu’on y découvre des cinéastes solides, héritiers d’un cinéma des années 70 dont on est un peu nostalgique. Le Grand jeu s’ancre dans un complot d’Etat, avec ses manigances peu reluisantes et ses compromissions nauséeuses. Dès la séquence d’ouverture, tout semble réaliste : l’extradition d’un philosophe italien vers le Brésil (ce qui rappelle l’affaire Cesare Battisti), les jeux de pouvoir entre salopards dans les ministères (il ne manque que le croc de boucher), les groupuscules d’extrême gauche anarchistes ciblés par la police (Tarnac, Sivens, Notre-Dame-Des-Landes & co).
Dans ce mic-mac, il y a un entremetteur et un écrivain. Un marionnettiste qui présume de ses atouts dans une partie de poker de haut niveau et un candide désenchanté, un brin cynique, qui vit hors du monde. Dans ce monde en costard et élégant (l'habit ne fait pas le moine), André Dussollier incarne parfaitement ces hommes dont le métier est de rendre des services, dans l’opacité la plus totale. Melvil Poupaud, personnage central, faux coupable parfait, tombe dans une toile piégée mais lutte en permanence pur sa survie. Un héros à la Joseph Conrad, avec son long manteau qui le protège d'un extérieur polluant. Avec un brin d’ironie (« Mon roman est devenu posthume de mon vivant ») et beaucoup de charme, il a un air de Cary Grant dans La mort aux trousses, toujours un peu dépassé, mais luttant malgré tout pour rester en vie (soit en tombant amoureux, soit en fuyant ceux qui lui en veulent).
En deux actes, à Paris puis dans une ferme isolée, et un épilogue anglais, Le Grand jeu abat ses cartes une à une. Passionnante partie qui s’interrompt hélas un peu précocement. La rupture est presque bipolaire, passant du jeu du pouvoir à celui des anarchistes. Deux postures, deux manipulations des esprits. Si formellement la construction est assez classique, le contraste demande au spectateur un effort réel pour s’impliquer dans un nouveau film dans le film. On passe ainsi d’un thriller inquiétant dans une atmosphère feutrée à une pause champêtre dans un univers hivernal, jamais vraiment angoissant. Il faudra patienter jusqu’à l’épilogue, un peu confus, pour que notre plus si jeune innocent, soit de nouveau menacé sérieusement. Entre temps, la tension s’est évaporée. Nicolas Pariser a davantage de difficulté à ouvrir le débat entre les deux mondes antagonistes. Autant, il sait installer une critique de l’exercice du pouvoir, de manière subtile mais féroce. Autant, il vire à un didactisme un peu trop bavard, et même trop écrit, quand il s’agit de « promouvoir » l’empathie qu’il éprouve pour ces « rebelles » de la campagne.
Mais cela ne retire rien à un scénario clairvoyant (« Aujourd’hui nous sommes à la veille d’un Etat de guerre »), doté de bonnes répliques parfois glaçantes (« La liberté d’expression est plus efficace que la censure pour que le gouvernement rende inaudible ce qu’on ne veut pas entendre »), éclairant quelques manipulations et affirmant quelques sales vérités sur notre système. C’est dans le cynisme que ce jeu se régale le plus. Il n’est pas étonnant que les deux hommes, l’entremetteur diabolique et l’écrivain qui n'a plus rien à perdre, se rencontrent dans un casino pour sceller un pacte faustien. La partie peut-être fatale. Mais au milieu de tout cela, les idées ont été mises sous le tapis. La jeune génération désengagée ne produit plus de nouvelles utopies. des deux côtés, on continue de se servir d'idéologies du passé pour imposer sa "raison".
Le réalisateur veut montrer que l’individualisme et l'abstentionnisme ne sont pas la voie à suivre. Il veut espérer que la sincérité, la sociabilité, l’entraide sont des armes de résistance. Mais il n’oublie surtout pas qu’il nous a lancé dans un thriller. Il maîtrise son suspens grâce à montage et un découpage habiles, quelques ellipses appréciables et des séquences audacieuses (on pense au monologue de l’ex-femme sur la fin qui suffira à comprendre la réaction finale de celle qui s’est sentie trahie). Le tout servi par de grands comédiens.
Et ce qu’on croyait être un simple thriller politique s’avère surtout le portrait d’une jeunesse un peu fanée par les désillusions, mais qui garde la foi face à un système de plus en plus autoritaire qui rend les individus de plus en plus solitaires.
vincy
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