Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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Les 8 salopards (The Hateful 8 - The Hateful Eight)


USA / 2015

06.01.2016
 



BÂTARDS PEU GLORIEUX





Les Huit Salopards est donc le 8ème film de Quentin Tarantino, depuis quelques années, il numérote en effet ses films en tant que réalisateur avec un chiffre qui apparaît non seulement sur les affiches mais surtout à l’image dans le générique. Comme si il était sous-entendu que le spectateur a déjà vu ou devrait voir ses films précédents afin de considérer que le nouveau à découvrir est une nouvelle pierre à l’édifice de son œuvre. Il a promis de ne réaliser que 10 films pour établir de manière définitive sa légende de "maestro", contesté ou controversé, du cinéma, en évitant peut-être le film de trop (même si ce chiffre ne prendra pas en compte ses scénarios pour True Romance, Tueurs nés, Une nuit en enfer…).

Cool et pop

Reservoir Dogs, Pulp Fiction, Jackie Brown, le dyptique Kill Bill: Vol. 1 et Kill Bill: Vol. 2 compte comme son 4ème film, Boulevard de la mort, celui qu'il aime le moins (et son plus gros échec) : une première moitié de filmographie presque en forme de best-of du cinema qui l’a nourrit et où chaque film est marqué de quantités de moments où il se sert de ces films qui l'ont inspirés en (ab)usant de clin-d’œil, hommage, pastiche… pour développer son propre monde imaginaire, façon cool et pop, très graphique, quitte à provoquer par le gore, l'anachronisme, le message confus. Donc devenu cool et populaire, Quentin Tarantino veut plus que marquer son époque, il voudrait s’inscrire dans l’Histoire du 7e art: il s’agit de la raconter et de la revisiter. Après le nazisme de Inglourious Basterds et l’esclavage de Django Unchained, voici donc les séquelles (en particulier le racisme) de la guerre de Sécession aux Etats-Unis avec Les Huit Salopards. N'y voyez rien de politique: Tarantino aime juste enfoncer le couteau dans la plaie, pour que ça saigne, que ça fasse mal, pour culpabiliser les salauds de l'Histoire. C'est d'ailleurs assez paradoxal de voire ce militant anti-armes se réjouir avec autant de plaisir devant tant de violences. Tout comme il est discutable de voir son oeuvre piocher dans celle des autres en revendiquant une originalité autre que warholienne (transformer n'importe quel produit, culturel ou de consommation, en un autre produit culturel de consommation).

Django vol. 2

La mention “ le 8ème film de Quentin Tarantino” trouve ici un véritable sens : il s’agit d’une suite de son 7ème film, soit quelques années après l'abolition de l'esclavage. Le titre original The Hateful Eight aurait presque dû être traduit par ‘Les Huit plein de Haine’ : dans le huis-clos d’un refuge cerné par un blizzard de neige il y a de la haine contre les Sudistes, de la haine contre un "Nègre" (le vocabulaire employé dans le film), de la haine contre des Blancs, de la haine contre les chasseurs de primes (qui échangent hors-la-loi morts ou vifs contre des milliers de dollars), et même de la haine contre une femme… Dans La Haine de Kassovitz, on savait que"‘jusqu’ici tout va bien, mais l'important n’est pas la chute c’est l’atterrissage".Ttout ce 8ème film de Tarantino est construit dans cet unique but : nous conduire vers cette fin avec laquelle il voudrait nous surprendre. Grâce à 12 "mercenaires" ou 12 "salopards".

« Quelqu’un ici n’est pas ce qu’il dit être… »

Les Huit Salopards débute un peu à la façon de Django Unchained : dans la neige, une diligence est arrêtée après une négociation verbale et repart avec un nouveau passager à bord. Le film va prendre le temps (2h47, une version plus longue de quelques minutes dans certaines salles avec projection en pellicule 70mm). Le scénario réutilise sa forme de chapitres (ici ils sont au nombre de 6). Ainsi un Noir chasseur de primes s’invite dans la voiture d’un autre chasseur de primes et sa prisonnière, puis, s'invitera un shérif ; mais une terrible tempête de neige va les obliger à faire halte dans un relais isolés de montagne avec ses occupants dont un vieux Confédéré Sudiste et trois autres types patibulaires : ils seront 8 ensemble pour quelques heures… Huis-clos forcément tendu. C'est d'ailleurs souvent entre quatre murs que sa mise en scène a toujours excellé depuis Reservoir Dogs. Il y a quelque chose de théâtral dans la mise en scène de Tarantino. Avec des dialogues interminables et des comédiens coincés, contraints d'être au top dans un jeu de rivalité. Avec trois heures de film, Tarantino a au moins pris un risque, poussé l'audace. Comme avec son usage du 70 mm, il a cherché à faire un cinéma loin des conventions actuelles, loin d'un formatage exigé. Un peu comme un groupe de rock qui déciderait de faire un tube avec un morceau de 10 minutes comportant de longues passerelles et cassures quand les radios coupent des singles mono-tempo après 180 secondes.

Mise en place

Les trois premiers chapitres prennent le temps de faire connaissance avec la plupart des personnages et de les faire arriver dans cette maison où ils se retrouveront tous enfermés. Ils ne se connaissaient pas avant (l’un avait déjà entendu une histoire sur untel ou sur un proche d’un autre, les autres étant parfaitement inconnus), chacun se présente un peu en racontant partiellement (du moins une version) qui il est et ce qu’il fait ici. La chasseur de prime qui était dans la diligence et qui garde menotté à lui sa prisonnière expose plus clairement sa motivation : il veut gagner la prime de 10 000 dollars en l’amenant à la ville où elle devra être pendue, sa prisonnière est donc sa ‘propriété’ qu’il ne veut pas se faire voler…

Environ la moitié du film expose ainsi ces personnages et leurs divers intérêts à chacun, et durant tout ce temps on savoure un univers tarantinesque qui, sans apporter de réelles surprises, reste un vrai plaisir pour les fans de série B et d'oeuvres de genre bien écrites. Pour la suite du film (après un entracte pour la version longue) on se retrouve dans un huis-clos, piégé avec ces 8 personnages, sans en sortir (ou presque). Chacun dans différents coins d’une vaste pièce: la caméra va se focaliser sur certains plutôt que d’autres en suivant le mécanisme des dialogues. Dans les 5 premiers films de Quentin Tarantino certains personnages avaient de longues tirades, mais depuis Inglourious Basterds et Django Unchained le dialogue n’est plus seulement du verbiage complice : le dialogue est devenu une arme pour s’affronter en duel.

« Nuit noire, enfer blanc »

Ce 8ème film de Quentin Tarantino marque à la fois une évolution et une rupture avec ses précédents films : l’essence même des Huit Salopards est en fait quasiment un seul et très long dialogue entre certains des 8 personnages qui racontent chacun des faits plus ou moins véridiques, soit pour masquer leurs intentions soit pour dominer (et vaincre) face aux autres. Une sorte de Cluedo cruel où l'on retrouverait les 10 petits nègres dans un jeu de massacre. On entendra des digressions à propos du rapport entre la justice et la vengeance, à propos de la valeur d’une vie selon que l’on est Noir ou Blanc, un long discours autour de l'armement (un meurtre, c’est le Mal) et l'auto-défense (un homicide justifié, c’est le Bien)... Le film prend la forme d’une pièce de théâtre et son décor unique durant laquelle chacun son tour, selon les circonstances vont s’exprimer (mais dans une forme plus artificielle que Reservoir Dogs), les 8 personnages principaux, qui ne sont d’ailleurs presque jamais ensemble dans le cadre de l’image.

Crescendo avorté

On se doute évidement que tout cela va culminer jusqu’à un pic de violence, les duels avec les dialogues vont se conclure avec du sang et des morts. La structure du film veut entretenir un semblant de suspense. On nous montre quel tel ou tel personnage a vu quelque chose qui lui permet de ne pas croire ce qui est raconté par un autre. Tarantino se tire même une balle dans le pied en faisant défiler dès le début du film le générique de l’ensemble des acteurs, il nous dit donc à l’avance qu’il va y a voir des apparitions surprises (qui du coup ne sont plus vraiment une surprise) dans le cours du récit. Ce qui est étonnant c’est l’utilisation de la musique de Ennio Morricone : en fait on la remarque en particulier au début et plus vraiment ensuite. Elle est comme un requiem, crépusculaire, dépressive. Comme une ode à un cinéma disparu, regretté. C'est ce qui peut rendre attachant ce film: Tarantino est nostalgique et voudrait réaliser un western à l'ancienne, avec ses ingrédients, ce blizzard morbide. La musique qui a une réelle importance (et qui va jouer avec la montée du suspense) sera celle jouée par deux personnages à l’écran : des notes de piano de la part du Mexicain, et une chanson à la guitare de la part de la prisonnière (dans un long plan séquence gonflé qui ennuiera ou captivera).

Le maître des marionnettes

Le texte de Quentin Tarantino avec ses digressions et sa mécanique si particulière est finalement, véritablement, le personnage principal du film : les acteurs n’ont en fait pas grand-chose à interpréter, leur rôle est essentiellement de servir ce texte. Les habitués Samuel L. Jackson (la vedette), Kurt Russell, Tim Roth, Michael Madsen comme les autres nouveaux dont Walton Goggins (la révélation du film, c’est lui) et Jennifer Jason Leigh (épatante, et qui s’en prend plein la gueule au sens propre comme au figuré) sont dans ce films moins des corps que des voix. Tarantino prouve que c'est un amoureux des comédiens et un grand directeur d'acteur.
Avec ses airs de western d’un autre siècle, un peu après la guerre de sécession, The Hateful Eight fait résonner quelques dialogues avec une certaine Amérique d’aujourd’hui où un certain racisme est toujours une problématique, tout comme l'appât du gain en dépit de la morale. Un nouveau film de Quentin Tarantino, qu'on le trouve surfait ou qu'on soit fan, est toujours un évènement, et si on peut en minimiser la portée on ne boudera certainement pas son plaisir. Avec lui, on aime toujours se prendre des claques. Même pas mal.
 
Kristofy

 
 
 
 

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