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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Spotlight
USA / 2015
27.01.2016
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MENSONGE GLOBAL
«- Il fait partie des chanceux. Il est encore en vie. »
Ce n’est pas le premier film qui évoque un scandale sur l’église catholique et la pédophilie de ses curés. A commencer par El Club, récemment sorti, de Pablo Larrain, qui nous immergeait dans la vie de ces homme d’église ayant fauté, enfermés dans une maison « de repos ». Et à chaque fois, ce qui choque c’est non pas le silence de la hiérarchie mais bien cette volonté de la part du Vatican et des notables catholiques d’étouffer ces affaires, de cacher la vérité, de ne pas assumer la défaillance humaine et de refuser le traumatisme causé. Pablo Larrain explorait parfaitement le sentiment d’impunité et le cauchemar vécu par une victime.
Qui sont les rois ?
Spotlight prend le scandale par un autre angle. L’aspect journalistique. C’est-à-dire un récit précis, clinique, distant. L’affaire n’est pas qu’un prétexte, mais ça aurait pu en être une autre. Comme dans un autre film récent, Le labyrinthe du silence, Spotlight préfère le témoignage (pudique, on est à Hollywood) pour décrire les actes, il préfère l’enquête à la transposition. En cela il légitime le chemin vers la vérité, rempli d’obstacles, plutôt que la démonstration des faits.
Tom McCarthy choisit de ne pas réaliser un film sensationnaliste mais plutôt de filmer une investigation sensationnelle. Dans la veine des Hommes du Président, il suit un groupe de journalistes – hommage au travail d’équipe – déterrant les cadavres enfouis six pieds sous terres. L’incident est étouffé, caché et tout le monde est de mèche dans ce village qu’est Boston : l’église, la police, la justice, les médias, les élites. Certains se sentent coupables, d’autres n’y voient qu’un business. Ce qui se révèle avec Spotlight c’est la part de morale qu’on a en chacun de nous. Il y a ceux qui en font une cause et d’autres qui se trouvent de bonnes raisons, ou excuses. Ni responsable, ni coupable.
Au delà de soi
Jusqu’au moment où Spotlight éclaire les zones d’ombres et met chacun devant ses contradictions, à commencer par cette communauté catholique de Boston (ville d’irlandais) qui tient tous les pouvoirs. Spotlight c’est le supplément d’investigation du Boston Globe, le grain qui peut faire dérailler le ronron de la routine journalistique, le poil à gratter qui va démanger les plus puissants. Des sous-sols où ils font leur travail comme une cellule cachée de la CIA au bureau du nouveau patron (formidable Liev Schreiber, ni catho, ni de Boston), c’est quasiment un huis-clos dans un grand quotidien qui nous est proposé. Le boulot de journalistes est un job de chien, et Spotlight en montre chacun des recoins où petits calculs et grands doutes freinent la fluidité de l’information (interne mais évidemment, aussi, celle fournie aux lecteurs, lui-même coupable de ne pas vouloir savoir). Le film montre comment un sujet ne se suffit jamais à lui-même, comment, malgré l’avalanche d’infos sur le web, une enquête mérite du temps, de l’argent, du talent, transformant alors la simple bonne accroche en dossier de fond pouvant ébranler les institutions. Le mythe du quatrième pouvoir.
Car c’est bien cela Spotlight : un hymne au journalisme à l’ancienne. Mieux que ça : la justification de la nécessaire indépendance de la presse, séparée des autres pouvoirs. Cette fabrication de la mythologie du journaliste plus fort que les autres, du super-héros de la vérité, pourrait être contestable si le scénario ne montrait pas l’humanisme et les failles du trio (Ruffalo-McAdams-d’Arcy James, tous impeccables) dirigé par un Michael Keaton épatant (ce qui donne un image finale signifiante et idéale).
Hors-la-Loi
Filmé comme une enquête policière, avec un découpage laissant de la place aux dialogues et valorisant (parfois à l’excès) les face-à-face entre des comédiens au savoir-faire indéniable, Spotlight ne s’embarrasse pas d’effets de mise en scène. Le réalisateur opte pour des plans classiques, des champs-contre-champs, et peu de séquences superflues, hors des clous, toujours concentré sur son récit et son objectif. Le scénario aurait sans doute mérité de dévoiler un peu plus ces vies détruites. Des vies saccagées, conduisant souvent au suicide, pendant que les criminels sont à l’air libre. Des jeunes qui ont découvert le sexe avec le représentant de Dieu, et perdent la foi en même temps que leur virginité… Mais en se focalisant sur l’hypocrisie et les mensonges des coupables, il touche au but et prouve qu’un récit imprimé dans un journal est une arme diaboliquement dangereuse. Les prédateurs (6%, en moyenne, des curés) ne seront pas forcément persécutés. Le cardinal sera même promu par le Vatican. L’église est au dessus de la loi des hommes. C’est évidemment révoltant.
Crise de foi
Mais Spotlight, en bon film américain, est un film qui, à la fois construit une histoire positive où David peut terrasser Goliath (le système), alimente le mythe fondateur de la liberté de la presse (avec ses limites), de la liberté d’expression aussi, et rétablit un sentiment de justice. Cependant, époque désenchantée aidant, il s’achève sur un constat froid et amer, qui révèle un système invincible, laissant les croyants, le peuple, seul avec ses douleurs et les souffrances qu’il a provoqué. Car les seuls qui ne se confrontent pas à leur conscience, ce sont bien les coupables. C’est ce qui rend ce film si frappant. Il est louable qu’il ait choisi cette voie plutôt que celle de l’émotion facile. Cette absence d’empathie que le spectateur éprouvera fait de Spotlight une œuvre plus réaliste, plus crédible que si elle avait cherché à nous faire croire que la foi l’emporte sur la médiocrité humaine des hommes de foi.
vincy
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