Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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Steve Jobs (Steve Jobs)


USA / 2015

03.02.2016
 



REQUIEM FOR A MAC





"T'es pas un ingénieur. T'es pas concepteur. Incapable d'enfoncer un clou. Alors pourquoi je lis partout que Steve Jobs est un génie ?"

Deux ans après Trance, Danny Boyle revient avec un biopic brillant, scénarisé par un prodige dans le genre, Aaron Sorkin, à partir du livre monumental de Walter Isaacson et des dires de Steve Wozniak. Le film offre une nouvelle dimension au co-fondateur d'Apple, celle d'un homme mégalo, arrogant, cynique, cruel et paranoïaque. Un régal pour les amateurs de noirceur shakespearienne. Car pour nosu expliquer les complexités du destin économique et des ambitions technologiques de l'icône, Sorkin et Boyle ont fait un travail remarquable de construction narrative. Le premier en installant le récit dans un huis-clos (ou presque), théâtre en trois actes. Le second en lui donnant un aspect visuel accompagnant ces trois actes (16mm pour 1984, 35mm pour 1988, numérique pour 1998) et en accentuant les liens tragiques qui lient Jobs à son entourage (la mère de sa fille ; son mentor dans le business ; son frère d'armes).

Un casting sans défauts

Centré sur trois moment-clés de la vie de l'entrepreneur américain (les lancements du Macintosh [1984], du NeXT [1985] et de l'iMac [1998]), Steve Jobs a la particularité de se dérouler dans un temps compté (les quelques heures avant la présentation de chacun de ces événements) et de nous emmener au plus près de ce visionnaire. Voilà pour l'aspect technique. Car ce qui intéresse principalement dans ce Steve Jobs, ce sont les semblants de liens, les tentatives de relations entre les personnages. En particulier Joanna Hoffman (Kate Winslet, fabuleuse), la responsable marketing éperdument amoureuse, Steve Wozniak (Seth Rogen, impeccable), l'associé des débuts meurtri, John Sculley (Jeff Daniels, étonnant), le PDG bienveillant et Lisa, la fille qui tente de chercher des repères auprès d'un père égocentrique.

Face caméra, il y a nécessité d'évoquer le magnétisme de Michael Fassbender. A la différence d'Ashton Kutcher qui misait tout sur la ressemblance physique, ce Steve Jobs-là peut compter sur un charisme inné et son physique très appréciable. Sous-entendu, sans en faire des tonnes, Michael Fassbender entre la peau du personnage et propose sa propre interprétation. Une interprétation brillante, soit dit en passant ! Doté d'une Kate Winslet ravissante et d'un Jeff Daniels franchement touchant, Steve Jobs doit se contenter d'un Seth Rogen trop attendu dans le rôle du nerd sous-estimé. Un détail que l'on oublie volontiers pendant les envolées lyriques du film.

le prodige Sorkin

A travers les plans et ces deux sauts dans le temps (en plus de deux séquences où le passé se mélangent au présent), Steve Jobs dresse un portrait forcément peu flatteur de l'homme. Vil, prétentieux, autoritaire, rancunier, machiavélique, les qualificatifs ne manquent pas pour désigner monsieur Apple. Et c'est une excellente chose. Car après le très lisse et ennuyant Jobs avec Ashton Kutcher, Danny Boyle et Aaron Sorkin ne manquent pas d'écorcher le mythe, en poussant l'homme dans ses retranchements. Un tour de force que l'on pensait impossible. En faisant s'opposer l'homme d'affaires, le visionnaire et le père en plein déni, Steve Jobs crée l'un des meilleurs personnages de l'année. Charmant mais culotté, on ne peut qu'aimer le détester. A chacun de ces moments clés, où le stress est palpable, il règle ses comptes sans se soucier du mal qu'il cause ou sans s'excuser des erreurs commises.

Si bon nombre d'entre nous iront découvrir cette pépite pour le personnage principal, force est de reconnaître que techniquement, le film vaut vraiment le détour. Sur le papier, l'idée de ne s'intéresser qu'à trois moments dans la vie de l'homme est excellente. Les dialogues sont d'une cruauté jubilatoire. En un temps réduit, les personnalités des personnages se décèlent et nous fendent l'âme. Sur grand écran, difficile de ne pas reconnaître le walk and talk propre au papa d'A la Maison-Blanche et The Newsroom. Danny Boyle y est allé de sa patte sur le grain, les travellings, les incrustations visuelles, les mouvements de foule et les angles de prises de vue parfois gonflés. Enfin, les compositions musicales de Daniel Pemberton (Cartel, Agents très spéciaux : Code UNCLE) font leur petit effet. C'est aussi froid que passionnant.

Ça n'a pas l'aspect élégant de The Social Network mais c'est bien plus hype et tout aussi effarant. Steve Jobs n'a su que manipuler et tel un roi shakespearien a tué à peu près tout le monde autour de lui. Etre une légende ou ne pas être: la fin justifie tous les moyens. Mais par dessus ça, en proie au doute, sans jamais sortir de ce canevas parfait (ça commence en 84, ça finit en 98 et tant pis pour ceux qui croyait qu'Hollywood allait nous faire pleurer avec sa maladie), Boyle et Sorkin démonte pièce par pièce la manière dont il est arrivé à la gloire, mais aussi critique, avec perversion, le modèle fermé d'Apple et la confusion entre un système concurrentiel et un système ouvert. Un exploit en terme d'écriture et de vulgarisation qui démontre à quel point The Big Short par exemple aurait mérité un tel toilettage.

Au final, Steve Jobs raconte par le bais d'une narration atypique les tourments d'un homme trop occupé à penser à lui-même pour voir clairement ce qui l'entoure. Car ça n'empêche pas l'émotion. Autour d'une amitié banale ou au détour d'une relation père fille non assumée, ou face à un mentor/père de substitution, se déroulent à chaque fois l'un des plus grands drames de l'année. La trahison peut valoir de l'or. Steve Jobs est à voir, pas pour les deux Golden Globes et les deux nominations aux Oscars, mais pour la synergie entre récit et mise-en-scène.
 
Wyzman

 
 
 
 

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