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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Wild Side
France / 2004
14 avril 2004
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LE MAL DE VIVRE
«- Pourquoi tu prends cet air buté, ça t’a jamais servi. »
Le début de Wild Side donne le ton : une caméra filme par fragments un corps allongé sur des draps de soie rouge. C’est le corps d’un transsexuel. Enfin plutôt d’une transsexuelle, puisque Stéphanie, anciennement Pierre, est une femme qui a conservé un sexe d’homme. En filmant ces fragments, Sébastien Lifshitz attaque de front l’anatomie pour la ranger dans un placard pour la suite du film. Et Wild Side peut ainsi se concentrer sur la vie des personnages et laisser de côté la question transsexuelle sur le point du physique. Car le propos n’est pas là. Si le réalisateur avoue avoir un penchant pour les marginaux, et le personnage de Stéphanie en est un au même titre que Djamel ou Mikhail, Wild Side n’est pas un film ni sur le transsexualisme ni sur l’homosexualité. Le propos est ailleurs. C’est la solitude qui émane du film tout entier qui en est le réel sujet.
De l’ensemble se dégage une tristesse douloureuse. Si ces personnages sont marginaux, c’est qu’ils sont inadaptés à la vie et à la société et traînent avec eux un mal être existentiel. Les moments de solitude sont très subtilement filmés. Et les moments d’affection partagée, même si l’on ressent un certain réconfort, ne parviennent pas à dissiper totalement la mélancolie ambiante. D’un point de vue formel, la solitude et le malaise ressenti sont exacerbés par un montage parfait, qui fait s’alterner les scènes dans lesquelles les personnages sont ensemble (à trois ou à deux avec une géométrie variable) et les autres moments où ils sont filmés seuls. Le film se focalise sur chacun des trois personnages en revenant sur leurs histoires respectives : l’enfance, les liens familiaux… Ces bribes de passé ne sont pas des explications explicites du devenir de chacun, mais permettent juste d’assembler quelques fragments supplémentaires, comme un puzzle qui ne formerait finalement pas une histoire très linéaire des trois, mais simplement une atmosphère.
Les mots sont rares mais Sébastien Lifshitz, avec l’appui de ses très bons et très expressifs comédiens, parvient à véhiculer une émotion lourde et bouleversante. Pour preuve, on peut repenser à la très jolie scène dans laquelle le personnage de Mikhail, qui est parti de Russie pour des raisons que l’on ne connaîtra pas, appelle sa mère d’une cabine, après moult tentatives lors desquelles il ne pourra dire un mot. Même si le dialogue téléphonique est en russe et n’est pas sous-titré, on ne peut qu’être immensément ému. Comme si l’énorme malaise de tous les personnages n’avait pas besoin d’être expliqué pour être pleinement ressenti par le spectateur qui le prend de plein fouet.
Les lieux filmés concourent à l’atmosphère du film : les moments de tapinage dans les bois, les plans de passants dans la gare (qui ressemblent à de très beaux moments volés), les images du restaurant dans lequel travaille Mikhail. Et puis, surtout, les vues désertiques du Nord lorsque Stéphanie, accompagnée de ses deux acolytes, retourne là où elle est née pour assister aux derniers moments de sa maman.
Avec Wild Side, Sébastien Lifshitz signe un très beau portrait d’une certaine marginalité, en proie à un mal être indicible, à une sorte de mélancolie que rien ne saurait faire disparaître, ni la société, ni même l’amour. D’un inénarrable pessimiste sourd, mais d’une beauté grave et éprouvante.
laurence
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