Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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El Clan


Argentine / 2015

10.02.2016
 



DADDY MADNESS





«Si je tombe, on tombe tous.»

Chez Pablo Trapero la politique se mêle toujours d’histoires familiales (au sens large du terme). El Clan porte bien son titre : une famille dominée par un patriarche dénué de morale, lui-même appartenant à un groupe de politiciens et militaires ayant prospéré sous la dictature argentine. Deux clans, deux formes de tyrannie aussi, dont les fondements vacillent : les enfants sont en quête d’émancipation, le pays bascule dans la démocratie. La fin d’une époque, d’une impunité.
Et comme toujours chez Pablo Trapero, le chemin n’est pas tranquille et l’issue des conflits laissent souvent un goût amer. El Clan happe immédiatement le spectateur. Il y a tous les ingrédients : un kidnapping, un match des Pumas, une famille à l’italienne. Tout se mélange, comme emporté par l’œil d’un cyclone.

Scorsese et Coppola

Cependant, le cinéaste soigne l’assemblage et la mise en scène de ce récit gigogne très dynamique. Il y a du Scorsese – particulièrement avec l’usage de la musique rock des années 80 - dans l’ascension vers la gloire et la déchéance programmée de cette famille. Et notamment cette séquence sauvage du meurtre… On peut aussi y voir quelque chose de Coppola. A travers les codes familiaux qui dictent les relations entre ses membres (au point d’étouffer toute rébellion) comme dans les méthodes iniques qui sont utilisées pour faire trembler les élites, le scénario révèle les monstres qui se cachent derrière les façades les plus banales. Avec un certain cynisme. Car El Clan est profondément cynique. L’usage d’une bluette au moment d’une transaction ou le générique de fin démontrent la distance critique que porte le réalisateur à son sujet. Jamais dupe, Trapero impose un point de vue nuancé sur ce qui aurait pu être didactique. Même cet horrible père égoïste a des motivations compréhensibles, des élans amoureux, des aspirations sincères. Ce qui ne l’excuse en rien. Mais cela ne le condamnera pas pour autant.

Les impairs du père

Mais si El Clan passionne autant c’est aussi parce que le film dégage une violence psychologique inévitable. Il y a des scènes saisissantes sur des visages en apnée, des regards perdus vers les limbes de la folie, des souffles coupés… La perversité du père cause des dégâts irréparables. Aveuglé par son pouvoir, niant sa lâcheté, stimulé par son rôle de soldat (fantoche) de l’ombre, il ne voit rien : ni de la fuite de ses progénitures, ni même du malheur qu’il provoque. Il veut leur bien et ne fait que du mal. Dans un classique affrontement père/fils, le père « démiurge » et le fils prodigue, l’histoire va avancer tel un rouleur compresseur vers une finalité inéluctable : la destruction de cette famille. Elle s’annonce par petits événements, comme cette fuite opportune du plus jeune des fils. Là encore le père n’y prête aucune attention quand la mère souffre. Car les femmes, si elles sont en arrière plan, semblent ne devoir que panser les plaies, tout en subissant, en silence, la Loi des mâles. Trapero suggère par là qu’une société où la femme n’a pas sa place est également une société condamnée à s’éteindre.

Médée au masculin

La fresque clanique déroule ainsi les cas de conscience de chacun, les complices (tous), les coupables, les traîtres comme les soumis. L’impuissance de la justice tout comme le déni de responsabilité de l’Etat sont superficiellement abordés sur la fin car les pires jugements proviennent de l’intérieur. Dans ce monde d’illusions, où la tragédie paraît la seule catharsis possible pour ouvrir les yeux de l’ogre qui dévore ses enfants, le poison est distillé depuis trop longtemps pour que le remède éventuel (justice, vérité) puisse avoir de l’effet. Le despote a encore de beaux jours devant lui. C’est ce qui glace le spectateur. Cette affreuse désillusion. Même si on devine que cela ne vas pas bien se finir, on ne se doute pas que Trapero va nous piéger dans une impasse. Le père narcissique est une ordure. Jusqu’au bout. Et sans aucun doute l’un des personnages cinématographiques les plus fascinants de ces dernières années. Il n’a même pas de dilemme. Son système de pensée l’empêche de sauver les siens, il ne cherche qu’à se sauver lui-même, persuadé, ainsi, d’échapper à la déchéance. Alors tuer le père ? Ce serait trop simple. Et c’est ce qui est brillant dans ce travelling final : le libre arbitre du fils, l’imprévisibilité de son acte (le bug du logiciel familial) saisit d’effroi et nous fait comprendre que le cinéma est encore capable de réveiller en nous un sentiment de révolte.
 
vincy

 
 
 
 

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