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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Merci patron!
France / 2016
24.02.2016
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L'ARNAQUE
"Rackettez bien les PDG alors !"
Les familiers d’une presse contestataire, engagée et indépendante, connaissent déjà François Ruffin, ancien de "Là-bas si j’y suis" sur France Inter et créateur (en 1999) de l’excellent journal alternatif Fakir dont le slogan est "Journal fâché avec tout le monde. Ou presque". Autant dire que la perspective de le voir passer derrière la caméra a dû occasionner quelques insomnies et crises d’urticaire (dans l’entourage du patron de LVMH Bernard Arnault, par exemple) et provoquer une excitation gourmande chez ceux pour qui l’indépendance d’esprit, la dénonciation des injustices et l’engagement ont encore un sens.
Ce qui est formidable, c’est que Merci patron va mettre tout le monde d’accord en répondant aux attentes des deux camps avec le même talent. Il raconte en effet comment Jocelyne et Serge Klur, d’anciens salariés d’une usine rachetée par LVMH puis fermée pour cause de délocalisation, essayent d’obtenir réparation auprès de Bernard Arnault en le menaçant de perturber l’une de ses manifestations à destination du grand public. Non seulement c’est un incroyable pied de nez à destination des puissants et de leurs petites tambouilles minables pour engraisser leurs actionnaires et sauvegarder leur image, mais il s’agit aussi d’une véritable leçon de riposte individuelle face à la violence sociale.
David contre Goliath
Car, sous ses airs potaches, ce que montre le documentaire ahurissant de François Ruffin, c’est qu’il est possible de faire plier (et payer) une société comme LVMH. C’est-à-dire de la manipuler et surtout de lui faire peur. Une victoire évidemment symbolique (on jubile avec le réalisateur lorsqu’on se rend compte que ce que craignent le plus les grosses huiles de LVMH, ce ne sont pas Médiapart ou Libération, mais bien le journal Fakir et ses 15000 exemplaires), mais aussi très concrète, sous forme de compensations financières et d’un CDI. Peut-être est-ce, au vu des quantités de personnes touchées par des licenciements économiques et souffrant des mêmes difficultés que les Klur, une simple goutte d’eau dans l’océan. Mais c’est surtout une démonstration brillante du mode de fonctionnement des grosses sociétés, et la preuve irréfutable qu’elles-mêmes se reconnaissent responsables des situations désespérées qu’elles engendrent. Avec ce film, c’est comme si le réalisateur avait réussi à faire admettre sa culpabilité à Bernard Arnault, face caméra.
Mais, si Merci patron est aussi jubilatoire, c’est aussi, au-delà de son aspect "David contre Goliath", grâce au style si particulier de François Ruffin qui, tel un Michael Moore français, n’hésite jamais à se mettre en scène, quitte à payer de sa personne. Jouant tour à tour l’avocat du diable (en l’occurrence de Bernard Arnault), la mouche du coche ou au contraire le faux benêt, il obtient de ses interlocuteurs une parole spontanée, rare, précieuse, qui se situe souvent entre révolte et émotion. Ainsi lorsque Jocelyne et Serge Klur avouent vivre avec 3€ par jour ou avoir mangé juste une tartine le jour de Noël, et qu’ils envisagent de détruire leur maison plutôt que de la perdre. Ce qui n’empêche pas le réalisateur, en contrepoint, de jouer également la carte de l’humour et de l’autodérision, prêt à prendre des risques personnels (déguisement et caméra cachée au programme) et assumant totalement sa position de leader des pieds nickelés face à la première fortune de France. Et même si l’espoir qui naît du film reste mesuré (car la brillante arnaque ne pourra plus se répéter), il rappelle utilement que l’organisation reste la clef de toute lutte. Pas besoin d’armes sophistiquées ou de moyens colossaux, un simple bluff, un peu d’astuce et un passage chez le coiffeur ont suffi à vaincre LVMH.
La victoire est possible
Retourner les armes du capitalisme contre ceux qui les ont inventées, il y a longtemps que François Ruffin s’y essaye, notamment en devenant actionnaire des sociétés auxquelles il veut se confronter, afin d’assister aux assemblées générales et faire entendre la voix des laissés pour compte. On peut déplorer qu’il ait fallu une action plus musclée et moins franche pour qu’il arrive enfin à ses fins. Mais, au fond, à qui la faute ? Et même si ce n’est qu’une bataille de gagnée, elle est capitale, car elle ouvre une brèche et permet une prise de conscience primordiale : la victoire est possible. Une alternative s’offre alors au spectateur : suivre l’acte II depuis un fauteuil de cinéma, ou y prendre part à son échelle. Chez Fakir, ils ont un proverbe : "A la fin, c’est nous qu’on va gagner". Chiche ?
MpM
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