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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Belgica
Belgique / 2015
02.03.2016
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HELL’S BROTHERS
«- On n’a fait quelque chose hier ?
- Tu ne sens rien ? Je t’ai fist-fuckée à fond pourtant ! »
Après Alabama Monroe, Felix Van Groeningen continue de sillonner les déboires d’une jeunesse flamande, au carrefour de ses choix « d’adultes », même si cette jeunesse est déjà bien mûrie. Alcool, clopes, dope, cul, fric : on plonge dans un bar-club tendance tenu par deux frères radicalement différents. D’un bouge belge va éclore un lounge festif où tout est permis.
Belgica est avant tout l’histoire de ces deux frères. Leur ascension et leur déchéance, leur réconciliation et leur divorce. Le plus jeune, mignon, légèrement handicapé par un œil fermé, est entrepreneur dans l’âme et se laisse enivrer par le succès. L’aîné, rugueux, père et marié, est un loser qui se rêve winner, et va vite vriller au point de s’autodétruire et même de fracasser ses rêves sur une réalité qui lui échappe. Ils se complètent jusqu’au moment où les erreurs et conneries du plus grand mettent en péril l’ambition du cadet. Icare se brûle les ailes en frôlant les spotlights et Thésée se perd dans son labyrinthe « psyché ».
Piégé par ses influences
Il y a une volonté chez Felix Van Groeningen de capter la sueur, la poisse, les odeurs, le stupre. Il sait restituer une atmosphère, flirte avec une sorte de transe (la musique aide beaucoup). Cependant, Belgica est trop scorsesien pour nous surprendre. On a déjà vu, trop souvent, ce genre de récit où l’ambiance et la musique (Soulwax, top) font figure de style. Mais ici cet esthétisme comble souvent une lourdeur narrative où tout est assez convenu pour ne pas dire prévisible. Il y a un léger manque d’inspiration qui est, heureusement, sauvé par l’aspect plus punk que rock de l’ensemble (c’est belge après tout) et par les interprètes, qui donnent corps à des personnages hauts en couleurs.
Si on entre difficilement dans une histoire très longue qui met une bonne demi heure à s’installer, l’aventure du Belgica n’est pas monotone. Par le ton des dialogues tout d’abord, qui se soucie plus d’un certain réalisme que du politiquement correct. Par ses effets visuels, notamment lors de l’inauguration du lieu infernal, avec un mix de La Grande Bellezza et de Moulin Rouge.
Etouffé par ses clichés
Boire et déboires dans un bar de nuit : on voit bien ce qui va s’y passer. Les rêves de grandeur, les rails de coke, les serveuses ou clientes chevauchées dans la réserve, une violence brutale, des dissensions entre les proprios… C’est aussi là que Felix Van Groeningen déçoit fortement. Si le scénario, bien construit, est très bien appliqué par la mise en scène du cinéaste, il ne sort jamais de son carcan et de ses stéréotypes. On attendait un formalisme qui filme de manière singulière ces séquences attendues. Paradoxalement, les plus belles scènes sont les silencieuses.
Hors, à trop montrer son savoir faire, le réalisateur s’intéresse davantage à l’ambiance qu’au fond, à la surface qu’à la profondeur de son sujet. On peut aussi regretter que cette histoire fraternelle soit aussi datée avec deux mâles légèrement diaboliques, un peu machos, parfois misogynes et des femmes qui ne parviennent jamais à contrer leurs attaques. C’est d’autant plus étonnant que les personnages féminins, secondaires, son souvent radieux. Mais, entre la femme au foyer et la midinette un peu cruche, les femmes sont souvent maltraitées, sans qu’aucune ne réussisse à contrebalancer ce fantasme trop « testostéronéisé ».
Lieu de perdition, le Belgica paraît finalement assez banal. Un mirage qui fait croire qu’il est « à la mode », « hype ». Il est juste un produit de son époque. Une « jeunesse » sans âge paumée incapable de passer à l’âge adulte. Cette immaturité lasse vite. Tout comme leur spirale infernale à base de défonce (sexuelle et toxico) fatigue par ses répétitions. Déconnectée du réel, cette génération X aura quand même le droit à son Jugement dernier. Le pardon et la rédemption. Une fois le très joli épilogue passé, avec « red light » et voix chaude, on se désole quand même de tant de belles images au service d’une œuvre trop simple.
vincy
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