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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Brooklyn
Irlande / 2015
09.03.2016
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LA FEMME (PAS SI) TRANQUILLE
«- J’ai vu L’Homme tranquille, c’est filmé en Irlande. »
Comme pour migrer vers les Etats-Unis, le voyage, ici, prends du temps à être apprécié. John Crowley ne cherche pas forcément à tirer les larmes avec un mélodrame aux premiers abords assez classique. Mais il sait toucher droit au cœur en faisant confiance à son scénario. Le réalisateur de Boy A continue d’explorer la scission qui divise les âmes lorsque celle-ci est confrontée à un choix de vie : la route à gauche, ou celle à droite.
Brooklyn ou l’Irlande. La vie avec un plombier italien qui ferait fondre n’importe quel cœur ou celle avec un fils de notable irlandais qui n’a aucun défaut. La voie vers l’émancipation est une série d’obstacles ardus. Mais avant d’en arriver là, le film s’attache à être précis sur l’époque, les motivations et le tempérament de son héroïne, Eilis (qui sonne comme Ellis, l’île où transitaient les immigrants arrivant à New York), sœur cadette réservée, solitaire et sage, qui abandonne sa mère et son aînée pour tenter le rêver américain.
Dans une Irlande pieds et poings liés avec une religion catholique qui se mêle de tout, pour le pire comme pour le meilleur, on comprends aisément qu’Eilis rêve de fuir son village irlandais, habité par les commérages et les jugements de valeurs. Les ambitions sont freinées, les rêves assez limités. Eilis peut cependant compter sur des ange-gardiennes d’une autre trempe. Si sa patronne est une sale mégère et sa mère une femme seule qui ne s’adapte pas à son temps, elle peut compter, au gré de ses péripéties, sur une sœur aînée bienveillante, une copine de traversée affranchie, une logeuse perspicace et bourrée d’humour (Julie Walters, drôle as usual), une supérieure hiérarchique compatissante. Chacune va lui faire monter une marche vers son indépendance. Cette série de rôles de soutien, et non pas de seconds rôles, affine le tableau comme un pointilliste cherche à restituer un portrait avec des nuances de couleur.
Avis de tempête
Il y a, bien entendu, quelques hommes. L’ecclésiaste irlandais qui règne en maître sur sa grosse communauté irlandaise de Brooklyn (Jim Broadbent, toujours parfait). Il est le lien entre l’Irlande natale et la Terre promise. Jim, incarné par un Domhnall Gleeson séducteur et sensible, ou la tentation du retour au pays. Et Tony, italien et pas très érudit, romantique et solide, qui illustre l’attirance vers l’ailleurs. Tony est interprété par Emory Cohen. Difficile de ne pas avoir un « crush » sur cet « heartthrob » irrésistible. Craquant et charmant, le moindre sourire, le moindre regard allume littéralement le spectateur et provoque une alchimie avec le personnage d’Eilis qui permet au film de tenir sur tous ses piliers.
Car, si tout est minutieusement décrit et si joliment écrit, Brooklyn, errance mélancolique, a plus l’air d’une balade irlandaise que d’une traversée océanique par gros temps. Il faut attendre le dernier tiers du film pour que le récit s’accroche à une véritable intrigue, une fois que tout est installé. C’est là toute la performance de Saoirse Ronan, l’une des actrices les plus douées de sa génération (on l’écrit depuis bientôt dix ans, mais on le répète). Maîtresse de son personnage, elle le fait évoluer subrepticement pour nous emmener dans son dilemme. Quel homme choisir, et par conséquent, quel pays ? Elle se sent déjà américaine mais elle reste irlandaise. C’est un twist inattendu qui va l’aider à prendre sa décision. Et c’est là que le film prend son élan vers un épilogue lumineux et évident.
Beau temps à l'horizon
Hymne à l’immigration et à l’assimilation, Brooklyn passe ainsi toutes les barrières pour nous emmener vers sa destination. Si Eilis nous émeut autant, c’est qu’elle porte toutes les peurs d’une jeune femme perdue dans un nouveau monde, où les rituels du pays ont beau être reproduits, ils n’en ont pas la même saveur. C’est justement une question de goût qui va la faire changer : celui des pâtes, celui d’un beau gosse latin, celui de l’émancipation. Avec quelques événements qui vont la bousculer, elle va basculer dans cet entre-deux-mers où l’on ne sait plus très bien d’où on vient, qui on est, où l’on va. Mais le scénario sans anicroche, malgré quelques séquences un peu clichées, la photo et les décors, attrayants, la mise en scène, délicate, vont nous transporter dans un voyage apparemment tranquille, même si dans la tête d’Eilis, c’est la tempête.
Certains reprocheront le manque de folie, d’excès, de bourrasques, de fracas. Mais, c’est au contraire, cette absence de cris et de hurlements, de pleurs et de sentiments trop démontrés, qui rend l’œuvre si discrète en surface. Ça va crescendo. Il suffit de se laisser happer, de ne pas croire à la fatalité, d’être déterminé et d’avoir confiance dans cette histoire qui se finit, comme toutes les belles histoires d’amour, par une fille qui attend son mec. Avec un rayon de soleil et un baiser pour sceller leur vie. vincy
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