Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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99 Homes


USA / 2014

16.03.2016
 



LA DÉFAITE À LA MAISON






"Lorsque tu travailles avec moi, tu m'appartiens!"


Sortir un film tel que 99 homes en e-cinéma, c'est comme déguster du caviar dans du papier aluminium. Récompensé au dernier festival de Deauville, nous aurions pu imaginer un destin en salles pour ce film coup de poing. Ce "polar" social, déroutant et plaisant à souhait, sans concessions pour son sujet, est ce qu'on peut attendre de mieux d'un film dénonciateur, qui use avec intelligence d'archétype du thriller autour d'un sujet aussi sérieux que la crise immobilière. Le film repose sur trois piliers solides, trois raisons essentielles pour le voir.


1) Pour la dureté de Michael Shannon
L'acteur aux multiples facettes représente à lui seul la menace, l'avidité et la cupidité d'une société où l'argent domine le cœur et la morale. Le méchant ultime, rapace qui guette ses proies et se jette avec avidité sur le moindre cadavre. Vêtu de blanc tel un ange, son personnage n'a pourtant ni l'auréole, ni les ailes qui vont avec. Il est un monstre, un personnage diabolique de cartoon - le stéréotype en moins car Michael Shannon l'incarne avec des nuances infinies et parfois invisibles.


2) Pour Andrew Garfield
Le dandy anglais et ex-Spiderman à mi-temps s'est fait pousser la barbe (ce qui le rend plus sexy), joue du marteau et on adore. L'acteur brille dans ce rôle du gentil garçon qui bascule du côté obscur afin de sauver ses miches et celles de sa famille. Entre cas de conscience et situation de survie, sa schizophrénie forcée nous fige et nous laisse bouche bée.

3) Pour le scénario inspiré de faits réels
Aussi difficile soit-il à l'admettre, le scénario est inspiré de faits réels et toujours actuels. Les banques s'enrichissent et gagnent des millions en revendant des maisons achetées pour des sommes dérisoires. C'est aussi révoltant que poignant. D'autant que le réalisateur Ramin Bahrani mène parfaitement sa barque pour raconter cette histoire enragée et froide. La colère provient des victimes, des spectateurs. Mais l'utiliser contre cet agent immobilier qui ne fait que maîtriser son métier ne servirait à rien. 99 Homes c'est avant tout le décryptage clinique, chirurgical même, d'un système déshumanisé, qui sait, avec la complicité de l'autorité (la police), faire tourner cette machinerie financière qui fonctionne de manière industrielle où le propriétaire d'une maison devient SDF en bout de chaîne.
Là où c'est pervers, c'est que l'opportunisme du diable Shannon n'est pas le pire vice de ce récit: la tentation vers la force obscure qui attire l'honnête Garfield va s'avérer bien plus troublante. Il est l'American Hero sincère et loyal qui va devenir le bras droit d'un diable pour éviter sa déchéance et, au passage, massacrer ses illusions qui l'ont conduit à l'échec. Soyez salauds ou crevez. L'Etat, les banques ne laissent pas trop le choix. Le royaume est pourri. Peu sûrs d'avoir foi en l'humanité après avoir vu ce chef d'oeuvre politico-mélodramatique, on ressort essorés par cette accumulation d'actes brutaux.

Car, finalement, Bahrani, qui a toujours filmé les précaires, ne (dé)montre rien d'autre qu'une Amérique atteint d'un virus la rendant folle. Les "losers" sont bons pour la casse. Seuls les vainqueurs ont le droit d'être sauvés. Et ce n'est pas un Donald Trump qui le dit. C'est déjà une réalité dans une civilisation qui fait croire aux paradis artificiels (et monotones si on en croit cet urbanisme toc dans le film) et qui, au réveil, vous fait comprendre que vous n'êtes qu'un rat de motel, à l'écart des richesses.
 
Cynthia

 
 
 
 

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