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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Sunset Song
Royaume Uni / 2015
30.03.2016
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LA FILLE DE JOHN
« Seuls les fous aiment la vie »
Terence Davies nous emporte dans une Ecosse rurale, avec ses paysages splendides, ensoleillés ou froids selon les saisons. Sunset Song est une longue complainte ensorcelante, accompagnant l’émancipation d’une jeune fille, comme autrefois sa cousine irlandaise, la fille de Ryan.
Elle a son destin devant elle : l’enseignement, les bonnes manières anglaises, les idéaux progressistes et égalitaires. Contemplant la beauté de sa campagne, la grandeur de ses livres, elles est éprise de liberté, d’égalité et de fraternité, lassée de l’hypocrisie des Ecossais – de gauche mais cathos et machistes – et de leur langage un peu rustre. Malheureusement, le destin sera bien différent.
Une chose est sûre : la direction artistique de Sunset Song, son classicisme extrême, presque perfectionniste, contribuent à rendre l’œuvre aussi belle que sa comédienne et ses horizons fouettés par le vent. Mais à trop ponctuer le récit de chants un peu trop folkloriques et désuets, à trop s’appliquer à suivre une héroïne sans surprise – Scarlett O’Hara sort de ce corps – le cinéaste nous perd un peu en cours de route. Le film s’avère aussi lisse que beau, aussi hypnotique qu’ennuyeux. Divisé en deux parties distinctes, le scénario se déséquilibre dès qu’elle est entièrement maîtresse de sa destinée. Une fois toutes les tragédies familiales passées, et il y en a, elle est juste confrontée à son propre drame (son mari qui part à la guerre). Autant dire que la première partie est de loin la plus riche, la plus passionnante, tant que Peter Mullan (comme toujours exceptionnel) est là pour apporter une dramaturgie tendue. Par la suite, le film se délite.
Tableaux
Cependant, Terence Davies est un grand cinéaste et il sait maîtriser chacun de ses plans. Lorsque le fils se prépare à être fouetté, et jusqu’au moment où il se rhabille dans la souffrance, on ne peut être que bouleversé devant la cruauté crue et frontale de l’acte. Le réalisateur laisse sa caméra statique et ne nous épargne aucune douleur. Sans qu’on ne voit rien des plaies infligées à la chair. Lorsqu’on écrit que le film est d’un classicisme absolu, c’est bien parce que le film puise dans des influences picturales : natures mortes ou piéta, fauvisme ou naturalisme.
Ce long chemin de croix de Chris a aussi l’immense qualité de démontrer la dure condition féminine dans un pays aussi rude. Mères bonnes à engrosser, femmes bonnes à cuisiner, filles bonnes à se marier. Il est alors regrettable que Terence Davies use de cet artifice un peu ringard d’une voix off de conteuse. On vacille ainsi entre des séquences magnifiques, mélancoliques et intenses, de beaux tableaux, et des scènes plus vaines et plus faciles, qui n’apportent pas beaucoup de sens. Cette maladresse est renforcée par un montage qui les juxtapose comme si elles n’avaient pas de continuité entre elles.
Tragédie sans cris
Voilà donc une fille courage devenue mère courage, qui a su traverser tous les périples de la vie, jusqu’à abandonner ses rêves mais conquérir sa liberté. Responsable sans être coupable. Victime qui ne se résigne pas à son statut. Elle s’affranchit. C’est là sans doute que Sunset Song exprime sa plus belle voix. Le film est résolument féministe. Un de ces portraits de femmes qui marquent le cinéphile, malgré ses défauts, son vernis.
L’insouciante jeunesse, loin de ses rêves anglais, fait place à la maturité d’une jeune adulte, ancrée dans ses terres écossaises. Raison et sentiments. Mais à trop charger sa vie de sombres drames, à ne jamais vraiment illuminer son parcours avec quelques étincelles d’humour et de bonheur, Sunset song a tout du chant crépusculaire et morbide, qui plombe parfois l’ambiance.
Sans peur, mais aussi sans espoir, elle a perdu tous les siens, et l’histoire la laisse en plan, seule. Théâtralement seule. Car, au final, le film semble être une pièce où certains arrivent côté cours, d’autres disparaissent côté jardin, tout paraît poser et dicter, tous mouvements a cet aspect un peu fabriqué. Des êtres qui jouent la vie (et la mort) dans un décor grandiose et grandeur nature. Quel étrange paradoxe.
Ça aurait pu être sublime. La fin avait de quoi tirer les larmes. Mais le scénario et le découpage du film ne nous emportent pas au-delà de la tristesse et de la compassion, là où nous aurions pu transcender nos émotions. Le sacrifice final est ainsi remplacé par une chanson lente, hymne à la terre, se moquant de l’absurdité des vies humaines. Une petite musique plutôt qu'un grand fracas.
vincy
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