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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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High-Rise
Royaume Uni / 2015
06.04.2016
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LA TOUR INFERNALE
«- Rassurez-vous, les gens ne s’intéressent qu’à ce qu’il se passe sur leur palier ».
La société utopique imaginée par J.G.Ballard dans son roman il y a quarante ans aboutit finalement à une dystopie aussi sauvage que brutale. Une tour de béton abrite quelques milliers de personnes : parabole d’une civilisation avide d’anonymat, de confort et de modernisme. Mais la hiérarchie sociale, les jalousies, l’envie vont transformer l’homme en animal et la cohabitation en guerre, entre élites arrogantes et gens du bas humiliés.
La première force de High Rise est incontestablement sa direction artistique. Des décors aux costumes en passant par la lumière, tout y est soigné et nous restitue cette vision d’un monde fantasmé, qu’on avait déjà vu dans Playtime de Jacques Tati. La continuité est évidente. Mais au lieu de poursuivre l’étude observatrice de Tati sur ce monde d’ultra moderne solitude, avec la mélancolie qui l’accompagne, Ben Wheatley a choisi un roman qui ne laisse aucune place à la sensiblerie. C’est froid et épuré, critique et satirique. Les symboles peuvent paraître trop appuyés, ils permettent surtout de clarifier le positionnement des protagonistes. L’architecte est entre Dieu et le souverain (il s’appelle Royal). Et il occupe à lui seul le dernier étage quand les autres, en bas de son immeuble, ont à peine le droit d’avoir du soleil dans la cuisine.
Chute libre
High Rise sombrera donc dans le chaos. En deux parties presque distinctes, le film bascule d’une élégante comédie humaine, où la courtoisie et le vivre ensemble sont bien règlementés, à une apocalypse dévastatrice où chacun tente de sauver sa peau, à défaut de son âme.
Si la seconde partie est plus confuse, moins séduisante aussi, subissant quelques égarements scénaristiques où l’on ne comprend plus clairement qui fait quoi, cela n’empêche pas le film, dans son ensemble, d’être brillant et percutant. Cela doit beaucoup au flegme proche de l’aliénation d’un Tom Hiddleston excellent dans ce rôle de bombe à fragmentation malgré lui. Jamais vraiment à sa place, toujours harcelé, refusant de choisir, pendant un temps, son camp, cet homme qui cherche à disparaître dans les murs et, en même temps, ne refuse pas sa singularité, sert de fil conducteur et de personnage identificateur pour le spectateur. Il incarne le mâle parfait, plastiquement et intellectuellement, dans un monde qui se veut parfait. Mais lui est à contre-courant et il faudra, pour survivre, une sacré détermination pour s’élever ou mourir.
Au fur et à mesure, tandis que la tour se délite, que les habitants se détruisent, lui même va perdre, dignement, de sa superbe. Jusqu’à manger un chien embroché. Cynique, fantastique, décalé, pittoresque, caustique, High Rise n’est pourtant pas si loin de la réalité. Le roman était une forme d’anticipation, de vision de l’avenir. Le cinéma, en ayant attendu quatre décennies, le rend terriblement, horriblement actuel. Et la mise en scène réfléchie de Ben Wheatley traduit parfaitement ce reflet de notre époque. Il installe dès les premières scènes une ambiance inquiétante diffuse qui ne nous quittera pas et nous fera craindre le pire.
Carnage
Les faiblesses de l’Homme ne sont jamais édulcorées. Inégaux dès la naissance, narcissiques et égocentriques, les humains ne savent finalement que foutre le bordel. Obéir aux règles n’est pas dans leurs cordes. Le film vacille alors dans la violence, le meurtre, le suicide, la mesquinerie, la manipulation psychologique. Parce qu’il est esthétique dans la forme et violent dans le fond, qu’il paraît glacé et qu’il est saignant, High Rise est une œuvre perverse (et jouissive, reconnaissons-le). Cette débauche mêlée à une décadence stylisée démontre que l’homme serait sans doute méprisable. Mais au moins, en redevenant prédateur/proie, il redevient humain.
En réalisant une version moins formelle voire moins onirique, Ben Wheatley aurait sans doute cédé à une certaine facilité qui aurait écrasé le propos. En préférant une « Party » à la Blake Edwards aux allures nihilistes, le cinéaste élève son sujet et révèle les failles de nos comportements et de nos contradictions, sans didactisme et sans philosophie pompeuse. Et avouons qu’on n’a rarement vu une telle dégénérescence aussi belle.
vincy
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