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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Mobile étoile
France / 2016
27.04.2016
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MUSIQUE SACRÉE
« On ne peut pas perdre cette musique là. »
De l’Accompagnatrice au Concert, pour prendre des exemples français contemporains, le cinéma a toujours aimé s’amouracher de musique classique. Mais Mobile étoile se distingue de plusieurs manières. D’une part, il se déroule dans les quartiers nord de Montréal, loin du centre-ville bouillonnant et culturel. Ensuite, il s’intéresse davantage à l’importance, au sens de la musique (ici une musique d’origine liturgique et désormais laïcisée) qu’à la reconnaissance de ses interprètes. Enfin, il s’agit davantage du portrait social d’artistes qu’on qualifierait en France d’intermittents que de quelconques vedettes triomphant dans les belles salles.
Raphaël Nadjari continue ainsi d’explorer les relations qui se tissent à l’intérieur d’une communauté : ici une famille dévouée à son art, le groupe associatif que père et mère dirigent pour vivre de leur art, et plus largement, le milieu très exclusif où se croisent subventionneurs, mécènes, et experts. Entre intégrité et intégrisme, la frontière est tenue. Il y a les partisans de la transmission, quitte à vulgariser un art originellement sacré, et ceux qui refusent les interprétations « fantaisistes » et les variations « personnelles » au nom de la pureté de l’œuvre. On comprend ici que la musique est comme toute religion (relier les gens), source de division entre les « modernes » qui veulent s’adapter à leur époque et les « anciens » qui rejettent toute compromission.
Prix un à un, le portrait de ces trois communautés et la dramaturgie autour de cette confrontation de visions, sont harmonieusement écrits et filmés. Mais l’ensemble de l’œuvre manque d’intensité pour que l’alchimie nous emporte complètement. Le scénario laisse parfois trop de place à la musique ou s’appesantit trop sur ses histoires parallèles au point d’étirer trop longuement le récit. En cela, en repoussant toute ambition mélodramatique ou, a contrario, toute forme de sentimentalisme heureux, Raphaël Nadjari opte pour une fin humble et humaine, comme une petite musique de nuit, plutôt qu’un élan crescendo vers un happy end qui laisserait au spectateur le soin d’imaginer la suite. Paradoxalement, c’est bien cette fin qui est la plus intéressante, dans sa signification, alors qu’elle apparaît moins intéressante du côté de la narration.
Les invisibles
Mobile étoile reste, malgré ces défauts, un film séduisant. D’une partition perdue, et retrouvée, éclôt un récit finement écrit et subtilement interprété. Géraldine Pailhas trouve enfin un personnage mâture et dramatique, dans lequel elle se déploie avec grâce, face à un Luc Picard impeccable en époux allié et admirateur. Tous les seconds-rôles, du fils mutique à la professeur de yoga – chanteuse occasionnelle un peu fantasque en passant par le responsable du centre associatif bougon mais bon homme, jouent leur partition avec justesse.
Ni troupe amateur ni groupe déplaçant les foules, voilà une petite bande au service de musiques oubliées qui cherchent à exister, perdurer, survivre au temps. Quitte à jouer de l’opérette chez les scolaires ou faire des concerts privés chez des friqués. Le cinéma montre rarement ces artistes qui galèrent mais vivent de leur passion, à l’écart de l’industrie culturelle. C’est évidemment là que Mobile étoile séduit.
Et il y a ensuite la figure paternelle. Raphaël Nadjari a beau sublimé son trio féminin, c’est bien le rapport à l’aîné qui est questionné : Luc Picard est ainsi confronté à la maladie de son père, mais aussi aux problèmes de son fils ; et Géraldine Pailhas est sous l’emprise de son maître/ex/père de substitution. C’est de là que naissent les vrais drames du film. Ils manquent peut-être d’originalité, mais en misant sur des silences plutôt que sur des bavardages et explications, le cinéaste fait confiance aux acteurs et à l’image pour traduire les émotions.
Quelques notes trop surjouées
Cependant, en soulignant de manière trop appuyée, voire didactique, l’orgueil des protagonistes, la rigueur nécessaire et le travail exigé pour réussir une performance, Mobile étoile trouve ses limites. Le scénario ne parvient pas à illustrer ces trois éléments sans échapper à des dialogues trop explicites ou maladroits. Ce que l’on peut comprendre par nous-mêmes est ici dit et répété, souvent inutilement. Ainsi le message du film - « des fois, on pousse les gens dans une voie qui n’est pas la leur » - et qui s’applique à quasiment toutes les relations entre les différents personnages, est évidente. Pourtant, de peut qu’on ne l’ait pas saisi, le cinéaste l’insère dans un dialogue trop littéraire pour être cinématographique.
Reste l’exaltation, l’impulsivité, la passion de cet art. A ce titre, le film est brillant musicalement. Réflexion superbe sur a transmission de la musique, c’est aussi un très beau film autour du travail musical. La création des musiques du film est en soi une formidable réussite. Et on ne voit que du feu aux play-backs des actrices-cantatrices.
Comme un making-of, leurs répétitions permettent quelques scènes intenses, comme la ce « rehearsal » du cantique, presque comique, ou à l’inverse, la rivalité larvée entre deux musiciens qui ne l’entendent pas de la même oreille. C’est souvent dans ce huis-clos, que la communauté de Nadjari trouve sa place et sa liberté.
vincy
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