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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Les amants de Caracas (Desde alla)
/ 2015
04.05.2016
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AMOUR CASH
"Tu frapperais tes enfants ?
- Non.
- Moi, si. Pour qu’ils comprennent ce qu’est la vie."
Surtout, ne pas se laisser décourager par le (très) mauvais titre français du premier long métrage de Lorenzo Vigas Castes, cinéaste vénézuélien qui a remporté le Lion d'or lors du dernier festival de Venise. Alors que l'appellation Les amants de Caracas a une connotation mélodramatico-sentimentale plutôt décourageante, le titre original, Desde Alla, c'est-à-dire "De là-bas", annonce d'emblée la dimension éminemment sociale du film, ainsi que l'étrange relation qui se tisse entre Armando et Elder, les deux protagonistes du film.
La distance entre les deux hommes, qui viennent d'origines et de milieux sociaux très différents, est d'ailleurs palpable dès les premières séquences du film. On voit ainsi Armando épier le jeune homme de loin, puis lorsqu'il le ramène chez lui, le regarder depuis un fauteuil sans jamais le toucher. D'où sans doute le choc qu'il ressent lorsque l'autre, refusant de remplir docilement son rôle d'objet de fantasme, provoque un contact physique brutal en le rouant de coups.
La violence, pourtant, est loin d'être à sens unique. Elle semble même plus insidieuse dans l'échange marchand que propose Armando à ses jeunes proies, profitant de leur misère et de sa relative opulence pour dicter une loi indigne. Le récit, toutefois, s'éloigne rapidement de cet inégal rapport de force pour aller vers une relation de plus en plus étrange, et donc de plus en plus captivante. On ne sait finalement plus trop qui est la victime plus ou moins consentante de l'autre, et l'on pourrait même se surprendre à croire en cette histoire d'amour singulière et hors normes.
Mais là n'est pas non plus la direction choisie par Lorenzo Vigas Castes qui ne fait aucune concession aux attentes du spectateur. Comme en reflet d'une société vénézuélienne elle-même complexe et dure, il préfère délaisser un happy end vide de sens pour articuler des enjeux à la fois quasi sociologiques (la fracture sociale aggravée par la crise, l’homophobie systématique et si décomplexée qu’elle en devient la norme, la dureté des rapports humains, même familiaux…) et plus personnels, comme notamment la douloureuse absence du père et les blessures enfouies du passé. Cela donne un film difficilement aimable car forcément dérangeant. Les insultes qui pleuvent sur Armando du fait de son orientation sexuelle, ou le rejet dont fait l’objet Elder dès lors qu’il affiche son amitié avec lui, sont forcément insupportables. De même, le cheminement trouble des deux personnages les laisse perpétuellement à distance, empêchant une identification qui serait un contresens.
La beauté plastique du film, qui joue beaucoup sur les jeux de profondeur de champ, l’éclairage et la composition des plans, renforce cette apparente perversité d’un récit plus pensé pour faire sortir le spectateur de sa zone de confort que pour le divertir. Comme un film poil à gratter qui, jusqu’à la séquence finale, appuie avec cruauté sur les bassesses, faiblesses et autres travers de l’être humain. Une expérience forcément éprouvante, et parfois déroutante, mais qui démontre la force d’évocation et le talent de "décortiqueur" de l’âme de ce réalisateur "débutant" dont le coup d’essai est un coup de maître.
MpM
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