Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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Jackie


USA / 2016

01.02.2017
 



LE CRÉPUSCULE DES DIEUX





« Ils veulent du chagrin. »

Il ne fallait pas s’attendre à un biopic de la part de Pablo Larrain. Le cinéaste chilien prouve une fois de plus tout son talent pour changer de style et s’adapter à son sujet, sans perdre l’identité de son cinéma : les phases de transformation d’une époque, d’une société et des individus. Il aime filmer les mondes s’effondrer et les idéalistes leur survivre.

Jackie n’a rien d’hagiographique. C’est le portrait d’une femme, devenue subitement veuve, au bord de l’abîme. C’en est vertigineux.
Si Jackie est aussi saisissant, et presque radical malgré son vernis chic, son élégance et son rythme de thriller, c’est parce qu’il ne quitte jamais le point de vue de son héroïne. Qu’elle parle à un journaliste ou qu’elle soit au cœur des événements, qu’elle erre dans la Maison Blanche, ivre et clopant cigarettes sur cigarettes, ou qu’elle se confesse à un prêtre, qu’elle dicte ses volontés ou qu’elle subisse les jeux de pouvoir, il n’y a qu’elle.

Confessions intimes

Cela rend l’œuvre terriblement intime. Et dramatique. Car Jackie se déroule dans un espace temps contraint : de son atterrissage à Dallas, avant l’assassinat de son mari (et Président), jusqu’à l’interview qu’elle donne à Life, quelques temps après les funérailles de son époux.
Avec brio, qui n’est pas sans rappelé JFK d’Oliver Stone, notamment dans l’usage d’images d’archives complètement intégrées aux images du film, où se mélangent fiction et reconstitution, il découpe son film comme un puzzle, sans se soucier de l’ordre chronologique des faits (mais sans perdre le spectateur non plus) afin d’accentuer les sensations ressenties par la Première dame et d’accompagner Jacqueline Kennedy dans son deuil insurmontable.

Sa traversée des enfers nous devient si proche qu’on palperait presque sa douleur. En morcelant son calvaire avec des séquences parfois très furtives, comme des flashs d’un mauvais souvenir, parfois avec des scènes plus appuyés sur ses silences soulignant sa vulnérabilité intérieure, Pablo Larrain ne fait que briser un miroir qui démultiplie la personnalité de Jackie et ses sentiments. C’est un tableau dont chaque plan zoome sur un détail et dont on ne comprend l’ensemble qu’une fois le film achevé.

Dynastie

Natalie Portman, si elle n’est pas convaincante immédiatement, parvient miraculeusement à incarner cette femme belle et sensible, touchant à la perfection lorsqu’elle a le regard qui s’égare ou les émotions écorchées vives. Jackie aurait pu être une femme d’un film de Cassavetes, une icône déchue de chez Duras. Attachée aux traditions, au temps, à la beauté, conservatrice dans l’âme, cette jeune femme cherche sa place entre un pouvoir qui l’éjecte, une famille oppressante et intouchable et ses enfants qu’elle cherche à protéger. Elle n’est plus rien depuis l’instant où la cervelle de son mari a éclaboussé sa robe dans une limousine à Dallas. Elle se bat, pour sa réputation, pour éviter la répudiation. Pour ne pas se décomposer, elle compose. Pablo Larrain la transfigure, dans le sens où tantôt il la sublime, tantôt il en fait une veuve dévastée, au bord de la folie. Elle se situe à ce point de (dés)équilibre entre l’autodestruction et la résilience.

Mais l’intensité dramatique provient d’ailleurs. Dans cette faculté (et facilité) qu’a Pablo Larrain de mettre en scène cette femme qui cherche la bonne mise en scène. Le soin qu’elle apporte aux pièces de la Maison Blanche ou le pointillisme qui la conduit à vouloir un certain type d’enterrement pour JFK (jusqu’au choix de l’emplacement de sa tombe) en fait une réalisatrice de son propre drame.

West Wing

Larrain ne masque pas les ambitions personnelles qui la régissent, les tragédies qui la hantent, les contradictions qui la tourmentent et une sorte de mégalomanie qui la dévore. Reine foudroyée par la tragédie, elle veut laisser une trace dans l’histoire mais surtout veut que les idéaux de son mari se poursuivent dans l’Histoire. Tout se mélange comme s’embrouillent les souvenirs d’un traumatisme. On se demande même si le cinéaste va oser nous montrer l’instant où la balle a percuté le crane du Président. C’est là que le réalisateur prouve qu’il maîtrise parfaitement son sujet d’ailleurs. Il ne quitte pas des yeux Jackie. Elle est le sujet, le je de ce jeu. C’est en soi un point de vue inédit sur un moment historique maintes fois diffusé, sous divers angles, à la télévision ou au cinéma.

Mais voilà, Jackie n’est pas seulement le portrait d’une lady, riche (quoique) et célèbre, narcissique peut-être, orgueilleuse et soumise aux préjugés. Ce n’est pas seulement une femme qui a compris l’impact des médias, l’importance du spectacle. Elle est devenue une Kennedy certes. Mais elle se croit veuve de Lancelot. Entre la vie qui doit continuer, son conte de fée brutalement stoppé, son destin incertain, le spectateur affronte un film sinueux sur une figure populaire qui a symbolisé son époque.

Pablo Larrain aurait pu s’arrêter là. Mais en explorant la schizophrénie passagère d’une femme tiraillée entre son devoir et sa survie mentale, entre son rôle et sa vie à venir, il livre aussi une réflexion puissante sur le cinéma quand il retranscrit l’histoire. «A un moment donné, Jackie dit qu’elle perdu le fil entre « la réalité et la représentation». Brillant, Pablo Larrain brouille justement les pistes pour nous perdre à notre tour entre l’Histoire racontée par Jacqueline Kennedy à Life, l’Histoire telle qu’on l’a connaît officiellement et le cinéma qui réarrange tout, déforme, transforme. Comme on l'a dit en préambule, la transformation est toujours la clé dans le cinéma du réalisateur chilien. Il en fait sa matière première et l’explore jusqu’à son paroxysme avec ce film qui reconstruit plus qu’il ne reconstitue le traumatisme d’une femme terriblement seule mais entourée et surveillée par toute une nation. Jackie est un film qui s’interroge sur la manière dont on doit filmer le réel, l’histoire vraie. En cela, c’est une œuvre majeure.
 
vincy

 
 
 
 

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