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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Silence
USA / 2016
08.02.2017
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MISSION
«- Je ne suis qu’un étranger qui a déclenché un désastre. »
Martin Scorsese aura attendu 28 ans pour réaliser Silence. Il est une chose qui est certaine, c’est qu’il n’a pas perdu la foi dans un certain cinéma. Il paraît audacieux aujourd’hui de filmer le Japon médiéval, une querelle idéologique sur la religion, et une histoire tournant essentiellement autour de quelques individus paumés.
Avec une certaine maestria incontestable, Scorsese nous immerge dans les années 1630, aux alentours de Nagasaki, dans une région aux côtes déchiquetées et aux volcans bouillonnants. Deux prêtres jésuites viennent chercher une vérité sur le sort de leur mentor, le Père Ferreira, qui, pour certains, est mort et, pour d’autres, a renié Jésus Christ et vit à la japonaise. On comprend bien que c’est une autre vérité qui découlera de cette épopée périlleuse.
Monde cruel
Le film est traversé par un questionnement sur la foi. Être fidèle au Christ ou apostasier, ultime tentation pour trahir ce même Christ. Mais Silence, sans doute à cause d’un parti pris trop chrétien de la part du cinéaste, qui voulait devenir prêtre avant de filmer, souffre d’une pesanteur dialectique tant le propos paraît didactique.
Du côté de la religion chrétienne, Scorsese fait preuve d’une certaine complaisance. La souffrance des croyants persécutés et torturés, le calvaire horrible des pénitents, le martyr des coupables conduit forcément le spectateur à éprouver une empathie envers eux. A l’inverse, les Seigneurs japonais qui appliquent une politique de terreur à leur encontre sont dépeints comme impitoyables et rappellent le sadisme du Capitaine Yonoi dans Furyo. Ce manichéisme est, heureusement, contrarié par le formalisme et le doute.
Le formalisme car paradoxalement, ce sont les scènes où la cruauté nippone se révèle qui sont les plus inspirées et les plus belles, influencées par Kurosowa, Bergman et Ozu. Des brumes sulfureuses volcaniques au déchaînement des vagues se fracassant contre des croix, Scorsese confirme qu’il aime scruter avec précision l’horreur humaine et sait la reproduire avec une véritable cinégénie.
Foi éprouvante
Le doute parce que le personnage d’Andrew Garfield (toujours aussi doué) vacille entre les deux mondes, entre la crise de foi et l’espérance, entre ses racines chrétiennes et sa compassion pour ce peuple lointain, entre supporter les sacrifices inutiles et se libérer de ce cauchemar en piétinant le visage de Jesus. C’est là que Silence prend tout son sens : jusqu’où le mal est-il acceptable ? D’assister à ces crucifixions le rend-il complice ? Son illumination n’est-elle pas un simple aveuglement ?
Voilà ce qui fait de Silence une œuvre passionnante, admirablement filmée, parfois longue (l’épilogue, pas vraiment nécessaire, étire inutilement cette fresque contemplative et intériorisée). Et puis il y a petit à petit quelques failles qui apparaissent. Ces dialogues en anglais qui troublent l’authenticité de l’ensemble. Ces scènes répétitives qui ponctuent une quête - dans un Japon superbement reconstitué - sans fin (il faut attendre 2 heures pour connaître le sort du Père Ferreira, amené sans subtilité). Cette empathie pour des Chrétiens plus idolâtres que fidèles au Livre, qui finalement en vient à pardonner un fanatisme religieux importé dans une civilisation repliée sur ses traditions. Jamais Silence ne voit la propagation de la religion romaine comme une forme de colonisation. Au mieux, il défend l’idée de la liberté de croire. Au pire, il juge un pays bouddhiste comme non civilisé.
Point de vue unilatéral
C’est cela qui dérange dans le film de Martin Scorsese. Malgré la flamboyance des images, comme une belle Cathédrale, il refuse de comprendre la position japonaise, comme on oublie de rappeler le sacrifice des bâtisseurs de ces folies de marbre et de pierre. Si le personnage incarné par Garfield ne se sentait pas coupable de ce carnage/génocide (« Le prix de votre gloire est leur souffrance »), on en viendrait même à considérer le film comme prosélyte et labellisé par le Vatican (le pape actuel est d’ailleurs jésuite).
Bien sûr, le talent de Scorsese permet de fluidifier et lisser tous ces accros. Se focalisant sur les tourments du conquérant désenchanté, sur la trahison du Christ, il prend cet unique point de vue d’un prêtre orgueilleux perdu géographiquement, religieusement et humainement. Il n’y a pas d’effets particuliers, même s’il s’amuse avec sa caméra, des décors fantastiques et un cadrage parfois inventif. Le sang coule, comme toujours. L’apostasie est l’unique enjeu dramatique. Plus dure sera la chute, comme toujours dans les films du réalisateur, qui se résigne à être jugé sur ses actes plutôt qu’à prier un miracle. Mais on reste frustré de voir une si longue et si belle œuvre ne pas atteindre le niveau esthétique de Kundun, la qualité narrative de La dernière tentation du Christou le machiavélisme de ses films majeurs.
vincy
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