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LE FEU EN SOI
« Si il fait ça, je le tue !
- Tu le tueras comment ? »
Pour son premier film, Caroline Deruas ne s’est pas facilitée la vie, comme s’il était urgent d’imposer son style, sa personnalité et son désir de ne pas emprunter les chemins balisés. L’indomptée ça pourrait être elle. Une jeune cinéaste qui ne veut pas rentrer dans des cases, hormis peut-être celles d’un cinéma onirique, surréaliste, parfois impressionniste, pas loin des contes baroques de Raoul Ruiz ou des fables oniriques de certains cinéastes portugais.
Nous sommes en Italie, à Rome, dans un lopin de terre français, la Villa Médicis. Le film s’avère aussi labyrinthique que l’édifice et ses jardins. En voulant mêler l’inspiration et le réel, l’art et la vie, la cinéaste ose un parcours erratique tantôt cocasse tantôt tragique. Les fantômes du passé réveillent ainsi les rêves du présent. Jusqu’à ce personnage incarné par la formidable Jenna Thiam, qui déboule dans le film comme une tornade, et se révèlera aussi spectrale que pure, comme la muse insatisfaite qui hante la Villa. Pour la réalité, Clotilde Hesme et son mari, Tchéky Karyo, symbolisent deux faces d’une même pièce : l’emprise de l’artiste « mécanique », qui créé sur commande, comme on a un job alimentaire, se confronte à l’artiste qui refuse le plagiat, cherche la singularité, accepte d’être dévorée par son sujet, et au final, est en quête d’une émancipation salutaire.
Cocasse, satirique même, et taquin, le film suit les méandres des délires de cette troupe française enfermée dans un Palais d’un autre siècle, lui même habité par ses histoires légendaires et démentes d’autrefois. Hommage à cette Villa, L’Indomptée est un portrait cruel d’une institution qui, par manque d’argent, doit privatiser ses espaces, licencier du personnel. Ici tout se fait par une annonce via un haut parleur, comme si une voix dictait de Paris des ordres qui tuent la culture à petits feux.
Original de bout en bout, irrégulier et inégal aussi, le film est un huis-clos qui surprend et intrigue. Jamais étouffant, souvent libre, déconstruisant toute tentative de narration, s’aventurant dans des flash-backs nous ramenant à la Renaissance, le scénario se moque autant des artistes radicaux qu’il admire la souffrance de la création. Tout le monde pourrait être un imposteur, chacun y va de sa posture. L’égo et l’égoïsme ne sont séparés que par une fine cloison. Mystique, allégorique, romantique, il est comme un sortilège improvisant ses enchaînements.
Caroline Deruas réussit surtout l’aspect le plus irréel de son œuvre, autour du personnage de Jenna Thiam, seul personnage en lien avec les employés, les figures du passé, et dont les photos s’effacent au fur et à mesure pour que l’on comprenne qu’elle est la seule mémoire, la seule à voir la beauté de cette Villa. Le réalisme disparaît alors progressivement. Le surnaturel devient presque une norme. La folie s’empare de chacun. Cauchemars et obscurité, rêves et fantasmes ne font plus qu’un, malgré l’allure décousue du film.
Comme un poème écrit dans l’ivresse, avec une fièvre aléatoire, L’Indomptée – le titre peut être accolé à la Villa Médicis, aux deux personnages féminins ou à la création artistique – invite à accepter l’incroyable sans vouloir résoudre les origines de l’art. Comme si le but n’était pas de pouvoir sauver la culture en ces temps de crise mais de sauver son histoire, son patrimoine pour que tout ne s’effondre pas définitivement. Certes, à trop vouloir être singulière et à trop rejeter toute forme de psychologie, la réalisatrice perd parfois le spectateur et son propos par la même occasion. Mais au moins, sa proposition a le mérite de rappeler que l’artiste n’a pas un métier comme les autres.
vincy
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