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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Fences
USA / 2016
22.02.2017
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LA CASE DE L'ONCLE DENZEL
"- Te demande pas si les gens t'aiment ou pas : fais en sorte qu'ils te traitent correctement."
Quatorze ans après Antwone Fisher et avant la sortie d'Equalizer 2, Denzel Washington a pris le temps de repasser derrière la caméra pour l'adaptation de la pièce Fences dans laquelle il a déjà joué à Broadway aux côtés de Viola Davis. Toujours aussi intenses, les deux acteurs excellent dans ce drame absolument passionnant et éreintant nommé quatre fois aux Oscars.
Rencontre au sommet
Ancien joueur de baseball, Troy Maxson vit avec sa femme Rose et leur fils Cory dans le Pittsburgh des années 1950. Ensemble, ils doivent faire face aux changements que connaît la société américaine et tentent de prendre les meilleures décisions possibles. Malheureusement, l'entêtement de Troy pourrait bien les mener à leur perte.
Sept ans après avoir incarné Troy et Rose Maxson dans la pièce d'August Wilson (qui date des années 1980), Denzel Washington et Viola Davis rempilent dans ce film de 139 minutes qui ne laissera personne indifférent. Oscar du meilleur second rôle (Glory, 1989) et du meilleur acteur (Trainng Day, 2001), le réalisateur de ce drame historique et familial était sans doute le plus à même de transposer cette pièce sur grand écran. A partir de la pièce scénarisée par feu August Wilson himself et Tony Kushner pour l'écriture, Denzel Washington parvient à donner une impression de mouvement constant à ce film qui se déroule principalement dans un seul lieu, le jardin des Maxson.
En totale osmose avec les travers et les propos parfois limites de son personnage, l'acteur de 62 ans a rarement été aussi bon. Le texte est déclamé avec une précision et une intensité qui attrapent les tripes tandis que sa caméra parvient à le faire passer de père aimant à monstre en un seul travelling latéral. Plus que bon, celui qui a récemment réalisé un épisode de Grey's Anatomy est dans Fences à son plus haut niveau. Amplement méritée, sa récente nomination aux Oscars pourrait lui porter chance et lui permettre de faire la nique à Ryan Gosling (La La Land) et Casey Affleck (Manchester by the Sea).
En face, Viola Davis, celle qui est portée aux nues depuis son apparition dans La Couleur des sentiments et plus récemment la série d'ABC How to Get Away with Murder, livre une performance encore plus incroyable. Comme née pour le rôle de Rose, celle qui incarne ici cette épouse fidèle et mère particulière dévouée apporte bien plus que du cachet au film : elle transcende l'esprit du spectateur. Eh oui, dans chacune des trois parties de Fences, Viola Davis parvient à complètement renverser les rôles, faisant oublier l'identité du personnage principal du film.
Entre usure et déni
En plus de montrer avec beaucoup de subtilité et de pertinence les défauts de Troy Maxson, Fences dresse le portrait de cette famille "recomposée" et finalement assez normale à l'époque. Se sentant coupable d'avoir dépensé la pension d'invalidité de son frère Gabriel, ancien soldat handicapé suite à une blessure à la tête, Troy tente de se racheter une conduite. Malheureusement, il n'y parvient pas. Enfermé en prison, il n'a pas vu son premier fils Lyons grandir et est incapable d'accompagner son fils cadet Cory dans l'accomplissement de ses rêves.
Plus encore, le personnage est si aigri et usé par son travail d'éboueur et ses a priori sur la société et les Blancs qu'il en devient vite détestable. Coincé dans un entre-deux permanent, entre l'envie d'être un bon père et la nécessité d'être dur, Troy s'égare et s'attire les foudres de tout son clan et même de son ami Jim. En évoquant sans détour les difficultés que rencontrent les noirs américains après la seconde guerre mondiale, Fences permet au spectateur de 2017 de relativiser... avant de mieux s'indigner devant le côté arriéré de cette société qui n'est pas si éloignée de la nôtre !
Persuadé que seul le travail manuel pourra permettre à son fils Cory de s'en sortir dans la vie, Troy est l'archétype du "vieux con" incapable de voir que le monde évolue (à la manière d'un Eastwood dans Gran Torino). Un archétype qui, s'il peut faire rire par moments, n'en est que plus utile ici. Sans être une fresque historique, la pièce de théâtre d'August Wilson et le film de Denzel Washington en disent long sur la place des femmes et des noirs américains dans la société.
Très théâtral et assez lent sur la première heure, Fences est de ces drames que l'on voit une fois mais qui marque à vie. Mention spéciale pour Charlotte Bruus Christensen à qui l'on doit la superbe photographie de ce drame essentiel.
wyzman
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