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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Le secret de la chambre noire
France / 2016
08.03.2017
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COMME UNE IMAGE
"C'est son être même qui est fixé sur la plaque argentique !"
Pour sa première réalisation en France (et en français), Kiyoshi Kurosawa revient à son genre préféré, le film de fantômes, auquel il adjoint son autre thème de prédilection, l’étude de l’âme humaine. Le prétexte, ici, est sublime : à travers le procédé ancien du daguerréotype (qui reproduit une image sans négatif sur une plaque exposée directement à la lumière pendant un temps assez long), il interroge les frontières entre le monde réel et ses représentations, et par extension entre le monde des vivants et celui des esprits.
Contrairement à un grand nombre de ses films, Le secret de la chambre noire est ainsi moins conçu pour surprendre le spectateur (qui en devine très vite le dénouement) que pour lui faire suivre, aux côtés du personnage principal, un cheminement précis et cruellement initiatique. C’est par ses yeux (en l’occurrence ceux de Tahar Rahim, qui interprète le jeune Jean) que l’on découvre les forces en présence dans la vaste demeure qui est au centre du récit et cristallise tous les enjeux de l’intrigue. Ses différents lieux dessinent la géographie mentale du film, entre la serre où est à l’œuvre la nature (et donc la vie et l’espoir), l’atelier qui transforme les êtres en représentations spectrales (où il se joue quelque chose de l’ordre du rite funéraire), et ce lieu entre les deux où le mercure contamine peu à peu tout ce qu’il touche (menace explicite de la mort sur l’espoir).
Le personnage de Jean est immédiatement perçu comme celui qui vient bouleverser les habitudes de la vieille demeure familiale, en y faisant notamment entrer de la vie et de l’énergie. Autour de lui, les autres personnages semblent tout de suite figés dans le temps, bizarrement anachroniques, et comme spectraux. On s’interroge d’ailleurs tout le film sur cette silhouette de femme aperçue par Jean lorsqu’il arrive : est-ce la femme défunte ou la jeune fille vivante ? Le doute subsiste jusqu’au bout sur la consistance et l’existence réelle des gens que l’on voit à l’écran, et toutes les interprétations peuvent d’ailleurs être possibles.
Cette ambiguïté est évidemment induite par la filmographie antérieure de Kurosawa, et par son goût prononcé pour les revenants. Mais également pour l’ambiance presque macabre qui hante les lieux. La semi-obscurité de l’atelier, le mutisme du photographe, les séances de pose qui figent Marie (Constance Rousseau, formidable) dans une immobilité inhumaine transforment la maison en antichambre de la mort où il ne serait pas surprenant de croiser des êtres appartenant aux deux mondes. C’est exactement comme si le daguerréotype, par son procédé si spécial, était le point de jonction entre eux, un mode de communication muet, mais aussi une porte entrouverte qui peu à peu happe les vivants. Car le daguerréotype, du point de vue du photographe, fait plus que fixer l’image du sujet, mais lui prend aussi quelque chose de l’ordre du spirituel. Plus qu’une représentation du corps, c’est une photographie de l’âme, ou tout au moins de l’essence humaine du modèle, que cherche l’artiste interprété avec fièvre par Olivier Gourmet. L’individu ainsi capté transmet alors quelque chose de lui-même au portrait grandeur nature qui est réalisé.
Le photographe devient alors une sorte de passeur entre les deux univers. D’où sans doute sa plus grande lucidité par rapport à la situation, mais aussi son impossibilité de continuer à faire face au passé et aux souvenirs douloureux qui se sont accumulés devant ses yeux au fil du temps. Les regrets et les remords pèsent trop lourd pour qu’il puisse continuer à supporter le fardeau de sa tâche.
Sur le papier, on tient un chef d’œuvre du cinéma de genre, mêlant les aspects ludiques de ce type de film et la réflexion profonde propre aux œuvres qui interrogent la porosité entre les univers. Et par moments, Kiyoshyi Kurosawa atteint presque son objectif, tant on est happé par la singularité de son sujet et la maîtrise de sa réalisation. Il faut pourtant reconnaître que le cinéaste a également une incontrôlable propension à s’éparpiller, à vouloir aborder trop de sujets et à lancer trop de pistes à la fois. Cet enthousiasme s’exprime un peu au détriment du film lui-même, qui y perd en force et en puissance. Sans doute aurait-il d’ailleurs gagné à être resserré et à se faire plus allusif dans sa conclusion. Malgré tout, le réalisateur japonais à la filmographie souvent inégale nous gratifie ici d’un geste de cinéma stupéfiant qui révèle son amour et sa foi en l’art en général, et dans le cinéma en particulier.
MpM
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