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LES GENS D’EN BAS
- Je désire ce que l’autre désire de moi.»
D’emblée on est prévenu. Le road-movie de Jérôme Reybaud, son premier long métrage, s’inscrit dans une lignée d’un cinéma français où se croisent Depardon (dépeignant une France actuelle, jusqu’au titre qui rappelle Journal de France), Ducastel et Martineau (Drôle de Félix notamment), Guiraudie (avec une homosexualité banalisée et provinciale) et Vecchiali (Reybaud a signé un documentaire sur le réalisateur en plus de choisir son acteur fétiche pour le rôle principal).
Nous voici donc dans un film qui erre au gré de rencontres (Elle s’en va d’Emmanuelle Bercot suivait le même principe). Mais ici, nous sommes dans une France partagée entre les homos (géolocalisés sur Grindr, qu’ils soient vieux barman alpin, avec son beau filleul très ambivalent, ou jeune mec coincé dans sa Province) et les femmes (fées ensorceleuses ou marraines bienveillantes).
Une œuvre complexe
Jours de France, par sa longueur, son choix d’une musique classique en fond sonore, ses plans panoramiques sur des paysages magnifiques, s’offre une ambition purement cinématographique qui l’éloigne de ce qu’il aurait pu être : une fugue mineure réaliste. Mais, parce qu’il regarde et écoute des personnages souvent ignorés du cinéma, parce qu’il n’a aucun tabou (mais reste très pudique malgré la présence ponctuelle d’une sexualité débridée), et parce qu’il montre un décor routinier (ronds-points, zones commerciales périurbaines, hôtels sans âmes, bistrots baignant dans leur jus, villes sans habitants, commerces fermés, aires d’autoroute), le film offre un autre relief tout aussi fascinant, quasiment ethnologique.
Il y a une France de Houellebecq dans cette œuvre. La carte (celle qu’on suit ou qui nous guide avec le GPS) et le territoire (celui qui est habité).
Mais Reybaud, pour nous la montrer, a choisi d’en faire une histoire profondément romantique. Cela commence avec un homme entre deux âges, au physique jeune, qui quitte son mec, un peu plus vieux, moustachu comme les homos des années 1970, dormant en slip blanc. Le décor est planté, silencieusement. Il prend la route, sans but. L’autre se rend compte de son départ en constatant l’absence de brosse à dent. A son insu, le fugueur ne se doute pas que compagnon, triste et désemparé, va tout faire pour le retrouver. Grâce aux plans culs et à l’application géolocalisatrice, il applique un peu le principe de l’émission « J’irai dormir chez vous » : « La France est vaste. Beaucoup d’hommes. Beaucoup de possibilités. » A condition de ne pas se perdre en rase campagne.
Coïtum triste?
Ne croyez pas qu’il s’agit d’un film voyeuriste. Jours de France est avant tout de ces drames mélancoliques où l’amour est une quête existentielle. Il y a d’ailleurs peu de cul. Deux corps qui s’enlacent, une tentative de pipe, une fellation dans une bagnole, et une très suggestive séance de masturbation entre un VRP a priori hétéro et notre héros, séparés par le mur de leurs chambres respectives (sublime scène par ailleurs).
Ces rencontres impromptues et ce voyage hasardeux ne servent finalement que de thérapie, sans morale démonstratrice (ce qui n’est pas la moindre des qualités du film). Il constate qu’il a déjà l’expérience nécessaire pour guider un jeune homme et la certitude instinctive qu’il n’ y a plus beaucoup de chemins à emprunter pour se sentir libre. Car il s’agit bien de se libérer. De se délester d’un passé encombrant pour mieux se retrouver ou tout simplement se trouver, et ainsi aborder l’avenir en adulte. « Liberté, dignité, virilité » rappelle sa tante.
Le cinéaste décrypte ainsi les tourments d’un homme, mais aussi ses désirs. Cela peut passer par des personnages pittoresques ou des scènes aux frontières de l’absurde (la dictée dans le bar en est l’exemple le plus drôle). C’est du théâtre, avec ce qu’il y a de factice dans cet art, et du cinéma, avec la dose de mouvement nécessaire (y compris avec quelques plans séquences réussis). C’est aussi de la photo par l’instantané que le film propose et de la littérature par sa dimension romanesque et verbale. (Sans oublier que le pseudo Grindr du personnage principal est Sorel, patronyme du héros du Rouge et le noir de Stendhal).
Au fur et à mesure qu’il s’enfonce dans la France profonde, il découvre son moi profond. A priori déroutant, le film ne dévie pourtant jamais de son propos grâce à une série de personnages singuliers et attachants. Il faut d’ailleurs souligner que le scénario se sort brillamment de sa complexité.
Chroniques de l'asphalte
Car il n’a rien de linéaire. Et Jérôme Reybaud prend un soin particulier à ne jamais quitter ses personnages secondaires : on les recroise le temps d’un plan furtif, comme des vignettes, comme pour montrer que leur vie continue pendant le trajet sans fin de cet homme paumé. On les retrouve aussi parfois quand son homme, avec un temps de retard, arrive sur les lieux où il s’est arrêté. Tout cela se fait de manière étonnement fluide. Comme lorsqu’on conduit sur de l’asphalte neuf.
De réflexions en considérations sur l’état du pays et sur ces vies à côté du monde, là où rien ne peut survenir justement, dans une Province à la fois belle et un peu hostile, où l’on ne sait pas ce que signifie le vivre ensemble mais on voit bien ce que peut-être le crever seul, nous oublions finalement que le moteur de tout cela a été une séparation, mûrie ou impulsive, peu importe.
Arrivé au bout de la route, dans un brouillard blanc opaque, le voyageur errant n’est pas vraiment plus avancé. Mais l’épilogue de cette belle histoire nous fera comprendre que les péchés, les erreurs, les frustrations, les tentations sont pardonnables et finalement anodines quand l’amour est au rendez-vous. Dans la nuit, dans la solitude, rien ne vaut la chaleur humaine pour comprendre qu’un périple et des péripéties sont futiles par rapport au sentiment d’exister grâce à celui qui vous aime. Encore faut-il savoir l’aimer en retour, et donc apprendre à s’aimer.
vincy
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