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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Fixeur
Roumanie / 2016
22.03.2017
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L'ARRANGEUR
«- Elle n’a plus ses dents de devant.
- Pourquoi ?
- On leur enlève, c’est très recherché pour les fellations.»
Fixeur est le genre de film qui tord le cou aux préjugés sur le cinéma roumain. Adrian Sitaru réalise un thriller intimiste où se croisent un sujet sociétal concernant un scandale de l’église orthodoxe et le métier d’un journaliste local qui travaille pour un autre pays. Entre deux mondes, la Roumanie traditionnelle et ses secrets enracinés d’un côté, l’aspiration à être un pays occidental comme les autres de l’autre côté, le personnage de Radu (Tudo Aaron Istodor lui apporte toutes les nuances et l’épaisseur nécessaire malgré une personnalité a priori banale), est lui même traversé par un dilemme : celui de bien faire son travail de reporter et celui de rester un homme honnête. Car il y a une part de sacrifice qui lui ait demandé. Ambitieux, il promet trop et voit son éthique se fracasser sur le mur des réalités.
C’est ce qui donne cet aspect « thriller » au film. Une chasse à l’homme, au scoop, une traque sans foi où les méthodes du « fixeur », un entremetteur de terrain, ne doivent pas s’embarrasser de principes. Les obstacles servent de jalons pour créer un suspens. Mais c’est aussi là que se situe la part psychologique du professionnel, prêt à tout pour complaire à ses employeurs en quête de vérité, et ce peu importe les moyens pour arriver à leurs fins.
Sexe, mensonges et reportage
Fixeur est un film sur la manipulation – l’employeur sur son fixeur, le fixeur sur ses réseaux, l’église sur les jeunes filles envoyées se prostituer, etc… Tout le monde est sous pression, chacun résiste. Jusqu’où peut-on aller pour révéler une vérité ? Peut-on utiliser une victime pour réussir soi-même ?
Or Radu, organisateur, traducteur, falicitateur, doit tout « fixer » : les dérèglements personnels (son beau-fils), les boulons d’une interview à hauts risques, les rapports entre les complices et les coupables. L’enquête passionne. Mais c’est bien le portrait de cet homme qui intéresse. Trop perfectionniste, trop exigeant, sa rigidité l’oblige à s’assouplir face à un monde complexe.
Le film, qui fourmille de petites anecdotes, est tétanisé par la peur de montrer la vérité. Mais il ne cache rien des tourments du journaliste, de cette Roumanie schizophrène entre les classes moyennes urbaines et la population rurale. Le pays est tout autant rigide et même hostile. Le film est d’ailleurs une violente critique à l’égard des pouvoirs – l’église comme la politique ou la mafia. De ces failles surgit une nécessité : celle de brusquer les codes déontologiques.
Entonnoir
Le cinéaste nous emmène ainsi dans un entonnoir. De cette liberté qui se dégage de la vie à Bucarest – qui ressemble à tous les quotidiens des villes occidentales – il va nous enfermer dans un huis-clos, confinés dans une voiture où l’interview-vérité dévoilera l’horreur d’un trafic humain. Difficile de faire cohabiter son métier de journaliste et l’humain qui est en nous. Les deux parties se scindent, se détestent entre elles. Car il faut une dose de cynisme et de distance pour que les sentiments n’entravent pas l’enquête. Ainsi la mise en scène de l’interview, maîtrisée et bien écrite, montre toutes les contradictions qui peuvent piéger quiconque se frottant à un tel exercice de dualité.
Fixeur est un formidable portrait d’un chevalier blanc qui ne veut pas être tâché mais qui s’enlise dans le marécage d’une société pourrie.
vincy
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