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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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L'Opéra
/ 2017
05.04.2017
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MILLE-FEUILLE
«- Effet 203. Top. Entrée du chef. »
Jean-Stéphane Bron nous invite à L’Opéra. Ou plutôt dans les coulisses, dans les souterrains, dans les étages, loin de la corbeille et du poulailler, mais à proximité de la fosse d’orchestre et de la scène. Son documentaire est un pas de deux entre le spectateur et les acteurs de ce mastodonte institutionnel. Ici, nul didactisme (il n’y a aucune voix off, aucune explication), ni même de message (le scénario se déroule sur une saison, chaotique mais sans enjeu dramatique). C’est un décryptage qui pourrait paraître froid sur une machine rodée, mise à l’épreuve par le facteur humain.
Ce strip-tease du monument de la culture française – non pas l’Opéra Garnier, mais l’Opéra de Paris, avec tous ses métiers, de la repasseuse au directeur très vieille France Stéphane Lissner (sans ordinateur sur son bureau, mais avec un smartphone dans les mains) qui lance ici sa première saison artistique – est un décryptage immersif du fonctionnement de l’institution.
Passionnant
Et c’est, avant tout, passionnant. Sans doute le réalisateur a-t-il été aidé par les événements : les attentats du 13 novembre, l’arrivée et le départ chaotique du chorégraphe star Benjamin Millepied, une menace de grève et une grève nationale, l’annulation d’un artiste lyrique vedette à deux jours d’une représentation, etc… Mais ce ne sont que des ponctuations qui révèlent qu’un grain de sable peut enrayer des rouages bien huilés : le fameux facteur humain.
Cependant, la dévotion des employés et la passion artistique l’emportent à chaque fois. C’est bien ce que montre tout au long du film le cinéaste suisse. Dès la première image, on hisse le drapeau français : L’Opéra de Paris est un symbole de la République, unique en son genre, mélangeant lyrique et ballet, doté de deux grandes salles, une France d’antan qui s’adapte au monde moderne.
Percutant
D’ailleurs cela commence avec la présentation de la programmation de la saison. Les éléments de langage forment un dialogue savoureux : la communication est une arme délicate. Du protocole au people, on se croirait parfois à Cannes, sur le tapis rouge. On suit ainsi un jeune homme d’origine russe qui déploie sa voix avec une déconcertante facilité, un chef d’orchestre auquel on obéit à la baguette, des chœurs très syndicalisés, une régisseuse au top, et même l’embauche d’un magnifique taureau. Tout est négociation (et pas seulement syndicale ou tarifaire), adaptation, répétition, création, transmission. Des petites mains aux étoiles, des aspirants aux installés, L’Opéra dévoile cette fourmilière méconnue et singulière.
Cela ne manque ni de spectacle (on vibre), ni d’émotions, ni même d’humour (chanter le mot saucisse en allemand est un art en soi). On nous raconte une belle histoire sans début et sans fin (et d’ailleurs on ne voudrait pas que cela finisse si tôt, on est prêt à en recommander une bonne heure).
En ouvrant les portes de ses opéras à Jean-Christophe Bron, Stéphane Lissner a adopté la mode contemporaine : mettre à nu un des « Palais » de la République tout en justifiant l’usage des deniers publics. C’est une manière de défendre la culture comme service public. La séquence où il souhaite « démocratiser » l’accès en révisant les tarifs est, mine de rien, l’une des moins anodines : se sachant filmer, il « communique » sur sa vision des prix des places (+91% en douze ans, 70 millions de recettes indispensables), argumentant et glissant, au passage, un message politique.
Passeurs
Et, habiles, Lissner et Bron, complices dans cette mise en scène de l’Opéra, s’attachent à démontrer que la « maison » est ouverte sur la société, avec Les « Petits violons », classe de CM2 venue d’une Zone d’Education Prioritaire, qui va, après deux ans d’apprentissage, jouer en public. Au corps artistique s’ajoute ainsi le corps social, au financement public se mêle le mécénat. C’est, cinématographiquement, assez facilement, le passage le plus émouvant.
Cette tranche de vie, chronique d’une saison particulière, donne évidemment envie d’aller admirer une soprano ou un danseur sur l’une des scènes parisiennes. Mais le documentariste a su retirer le vernis de cette « maison d’excellence » pour nous faire partager les péripéties et les épreuves d’une « fabrique de la culture ». Le montage du film lui permet d’être atemporel et relativement déconnecté d’une actualité pourtant omniprésente. Cependant, ce que l’on retient, c’est la passion qui innerve chaque plan de cet Opéra feuilleté.
vincy
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