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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Lettres de la guerre (Cartas da guerra)
/ 2016
12.04.2017
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LE CAPTIF DU DÉSERT
«- Au moins à Noël, les moustiques font pas chier.»
Lettres de la guerre est une correspondance épistolaire d’un jeune médecin à son épouse. Arraché à elle en étant envoyé sur le front d’une guerre coloniale perdue d’avance, en Angola, le jeune et beau Antonio, futur immense écrivain, voit sa jeunesse foudroyée par ce conflit stérile et son amour contrarié par cette distance insupportable. Lettres de la guerre sont de véritables courriers, une histoire vraie, dont le personnage principal est encore vivant.
Ivo M. Ferreira a du beaucoup réfléchir avant de savoir comment transposer ces mots en images. Le résultat est une œuvre audacieuse et radicale, hypnotique et enivrante, aussi littéraire que cinématographique, comme des cartes postales où la photo serait en mouvement et le texte susurré à l’oreille.
Somptueux, avec ce noir et blanc qui rappelle les photographies d’Herb Ritts ou le magnifique Tabou de Miguel Gomes, le film est une ode romantique, lyrique et mélancolique (« saudade » quand tu nous étreins). Il faut se laisser envoûter. Par les images de cette Afrique lumineuse, de ce « désert des Tartares » où l’on guette un ennemi invisible, et par les mots, sublimes, qui décrivent la routine des soldats, le moral bien entamé, le corps exténué, les rêveries, fantasmes, désirs, manques d’un homme loin de sa moitié. Un homme impuissant, qui, au fil des mois, « n’a plus envie de lutter et de résister », change beaucoup, se laisse envahir par le désespoir et l’apathie.
La guerre intérieure
C’est universel et intime. C’est l’amour qui hante et la mort qui rode. C’est la beauté de l’humain et l’atrocité de leur guerre. Fable pacifiste et humaniste, Lettres de la guerre dénonce ce désastre meurtrier inutile et dévoile des Portugais déserteurs ou déclinants face à une Afrique pleine de vitalité. Entre Apocalypse Now et les errances presque mystiques et oniriques de cinéastes comme Joao Pedro Rodrigues ou Apitchatpong Weerasethakul, le réalisateur nous aventure dans un récit étudié, aux cadrages soignés où l’homme est au cœur du plan.
Incarné par Miguel Nunes, à la beauté magnétique, le médecin-écrivain décrit un monde en perdition et des êtres refusant la fatalité. Il est à l’écart, solitaire et observateur. Dans cet univers masculin, et même assez homoérotique, il porte le film de bout en bout, ce qui n’est pas évident quand la narration fait si peu de place aux actions et aux dialogues.
Antonio Lobo Antunes, entre nostalgie et amertume, désir d’absolu et quête de plaisirs simples, est le témoin d’une époque révolue. Il refuse les œillères des militaires et annonce la future révolution des œillets. Il a le regard clair, qui nous happe et nous transmet son cas de conscience et sa réalité d’alors. Presque spectral, Lettres de la guerre est aussi une analyse psychologique lucide sur l’influence de l’environnement sur un individu. Face à la folie qui l’entoure, il ne reste alors que le souvenir de l’amour.
Et cela suffit à en faire un beau film.
vincy
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