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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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L'homme aux mille visages (El hombre de las mil caras)
Espagne / 2016
12.04.2017
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DANS LA LIGNE DE MIRE
«- Ce type est une bombe. Je veux être loin quand elle explosera.»
Après le fantastique La Isla Minima, et ses allures de True Detective, Alberto Rodriguez livre avec L’Homme aux mille visages un thriller qui emprunte davantage à Scorsese et Soderbergh. La mise en scène, plus superficielle, s’amusant avec sa narration manipulatrice et ses effets visuels, cherche davantage à divertir et à séduire.
« Comme toute histoire vraie, elle comporte des mensonges, c’est l’histoire d’un menteur » : nous voilà prévenus d ès l’amorce du long métrage. Un tour de prestidigitateur qui nous fait voyager durant une décennie – ah le merveilleux vintage des années 1980-1990 –entre Madrid, Paris, Varsovie, Genève, Bangkok, Singapour…
Histoire d’une arnaque gigantesque (et d’une vengeance qui ne dit jamais son nom), basée sur une enquête autour d’un homme énigmatique ayant réellement existé, L’homme aux mille visages nous balade avec gourmandise : la direction artistique est perfectionniste, la musique electro-rock emballante, la voix off malicieuse et joueuse, les acteurs s’emploient à incarner parfaitement des personnages qui ne manquent pas de caractère, l’histoire est tordue à souhait.
Braquage à l'ancienne
En revanche, à l’opposé de La Isla Minima, le cinéaste n’a pas cherché à révéler une profondeur psychologique. La noirceur des âmes fait place ici à la pourriture d’un système, qu’on braque pour récupérer un maximum de cash, en jouant sur la circulation des capitaux et l’évasion fiscale. Moins centré sur l’humain, le film opte plutôt à dénoncer une mécanique vicieuse qui permet avec quelques tours de passe-passe d’arnaquer en chaîne. C’est un Ocean’s 11 où l’Etat remplace un casino, avec un protagoniste scorsesien flamboyant qui chute et se redresse, et des rôles secondaires aux surnoms imagés.
A l’image de Francisco Paesa, héros calculateur de cette entourloupe gigantesque, le cinéaste joue les marionnettistes pour mieux nous enfumer, avec style (et quelques archives pour rappeler que cette histoire a passionné l’Europe). La machination est efficace : il y a peu d’action, quelques tensions, mais suffisamment de rebondissements et de trahisons ou surprises pour capter l’intérêt. Car, malgré ce tour d’Europe et d’Asie, Rodriguez démontre son savoir-faire dans des scènes en huis-clos, dans des appartements ou des voitures parquées. C’est une scène de théâtre où chaque pion a son rôle à jouer pour que le final, qu’on devra un jour comparé à d’autres comme Argo, se déroule sans accros, malgré la dose nécessaire de risques, de hasards et de chance.
Tout à sa jouissance, le cinéaste oublie parfois que le spectateur a parfois un temps d’avance ou simplement l’esprit plus retors que le scénariste. Si on peut anticiper l’épilogue, si l’énigme n’est pas vraiment résolue officiellement, cela ne retire rien à l’aspect trippant d’un film, certes artificiel. Cette partie d’échecs n’est finalement rien d’autre que la fabrication d’une histoire cinématographique autour de la fabrication d’une histoire officielle. Une mise en abime entre fiction et réalité, entre le réalisateur et son personnage. En paraphrasant un dialogue issu d’un film de John Ford: « quand la légende dépasse la réalité, filme la légende ».
vincy
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