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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Entre deux rives
Corée du Sud / 2016
05.07.2017
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ENTRE DEUX RÊVES
« Plus je verrai, plus je serai malchanceux »
Avec Entre deux rives, Kim Ki-duk signe son film le plus ouvertement politique, puisqu’il aborde frontalement la question des deux Corée et le rêve d’une réunification. Pour cela, on suit Chul-woo, un pauvre pêcheur nord-coréen qui, suite à une panne de moteur, dérive et échoue en Corée du sud, où on le soupçonne d’être un espion. A travers ses yeux, on découvre les contradictions du pays, et les différents courants de pensée qui l’agitent. Il y a ainsi l’enquêteur pour qui chaque Nord-coréen doit payer pour les horreurs de la guerre civile, le responsable qui ne supporte pas l’idée de renvoyer le réfugié « dans sa dictature » sans se soucier de ce que l’intéressé en pense, ou encore le garde du corps qui essaye honnêtement de l’aider, et éprouve pour lui de la compassion.
Le film, quasiment pensé comme un thriller, est construit de manière à permettre une progression captivante (mais plutôt désespérée) dans la réalité des relations entre les deux pays. On découvre en effet la procédure sud-coréenne envers les ressortissants du nord (soupçons et interrogatoires, puis tentative de « retournement ») ainsi que le fonctionnement de la Corée du Nord face à une telle situation. Sans surprise, Kim Ki-duk renvoie les deux pays dos à dos, et s’amuse assez cyniquement à dresser des parallèles entre les méthodes des frères ennemis. Un humour très grinçant qui se mue peu à peu en ironie la plus tragique. Le malheureux personnage fait l’effet d’un insecte pris dans une toile : chaque mouvement donne l’impression de pouvoir le libérer, mais en réalité ne fait que l’enserrer un peu plus. On l’aura compris, Kim Ki-duk n’est pas très optimiste quant à l’avenir des deux pays et surtout sur les chances d’une réunification à court terme.
Il oppose ainsi non pas le nord et le sud, mais les hommes de bonne volonté à ceux qui attisent la haine entre les deux pays. Torts partagés, balle au centre. Et après ? Le cinéaste ne donne évidemment aucune piste. Il préfère perdre le spectateur dans des digressions presque dignes d’un film d’espionnage, et des considérations assez générales sur sa patrie, dans laquelle dominent le gâchis, l’impudeur et la saleté. Sans oublier le ressentiment et la violence. De l’autre côté, ce n’est guère mieux. On tombe même dans l’absurdité du double langage, entre l’accueil digne d’un héros qui est fait à Chul-woo, et le traitement qui lui est en réalité réservé.
Peut-être pourra-t-on reprocher au film son apparente simplicité dialectique, qui semble presque scolaire dans sa manière d’aborder tous les aspects de la question coréenne. De même peut-on s’agacer des rebondissements nombreux qui viennent rythmer le récit à la manière d’un actionner américain. Pour les amateurs du cinéma d’habitude si allusif et mystérieux du cinéaste, forcément, c’est un choc. Pourtant Entre deux rives est un film important, quasiment un brulot politique, qui livre un regard sincère et sans concession sur l’impasse politique dans laquelle se trouvent les deux Corée. Loin de l’habituel patriotisme triomphant, Kim Ki-duk laisse peu d’espoir aux hommes de bonne volonté, qui, comme c’est souvent le cas dans son cinéma, sont toujours les premières victimes du système, broyés au nom de l’intérêt général, de l’honneur, ou d’un quelconque grand principe abstrait du même type. La seule bonne nouvelle du film, c’est que le réalisateur, lui, a toujours autant de talent.
MpM
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